"C'est super ! On a de la chance, finalement..."

Ce qu'elle cherchait à la bibliothèque ?

"Un épisode de l'histoire d'Endora. Une époque sombre. Je crois même que cet age se résume à la guerre. Une bataille. Je cherche ce qu'il s'est passé. Le Vent perd tout controle quand je lui demande... Mais trouver des livres historiques assez anciens pour en parler est très difficile."

Non, ce n'était pas seulement cela. Le livre qu'elle avait trouvé semblait éviter le sujet, sautant parfois même plusieurs siècles de l'histoire d'Endora comme si toute cette époque avait était oubliée. Et le deuxième... Le deuxième ouvrage dans lequel elle avait cru pouvoir trouvé la réponse, les pages manquaient. Arrachées. Détruites.
Inconues.
Oubliées.
Ces omissions lui avaient pourtant permis une chose : Cet époque, cet évènement s'était passé bien avant l'Endora d'aujourd'hui. Plus précisement, l'Endora telle que tous la connaissait aujourd'hui apparaissait juste après cette époque.
Et c'était bien le problème d'Aïla : La plupart des livres d'histoire commençaient à peu près à ce moment. Juste après l'époque qui l'interressait.
Il en était de même pour les livres d'art, de loisir, de magie, qui tous changeaient radicalment après cette période. Sans que personne ne comprennent la raison de ce changement.
La magie, surtout. Un changement radical dans la façon dont les gens voyait leurs pouvoirs. Des centaines de livres sur la magie avaient été écris après cet épisode de l'histoire que la jeune fille ne connaissait pas.

Aïla cherchait les raisons de ces changements. De ces boulversements. Elle cherchait cette époque omise des livres. Ce trou dans les pages.

Aïla s'était dirigée vers la sortie avec Envel.

"Et toi ? Tu as trouvé des choses sur Ethnar, n'est ce pas ?"

Elle sortit dans la rue. Ce quartier était moins fréquenté que le centre, qui devait être encore noir de monde, et la jeune femme appréciait pouvoir marcher plus librement.

Envel écouta Aïla en silence. Une époque sombre... Le jeune homme n'en avait jamais entendu parler. Il est vrai que certains épisodes étaient étouffés, tus. Peur qu'ils ressurgissent.
A l'évocation d'Ethnar, Envel eut un demi-sourire.

- "Une simple gravure. Mais j'avais déjà eu, auparavant, une version de son histoire qui me suffisait."

Ethnar... Comment un être qui n'était que rêve puisse-t-il prendre autant d'importance ? Il eut suffi d'une blessure, d'un échange de regards... Et le voilà qui se mettait à espérer de toute son âme, alors qu'il avait tenté, pendant six ans, de l'oublier.

- "Les rêves sont des choses étranges," murmura-t-il plus pour lui-même que pour Aïla.

Il s'arrêta soudain devant une auberge. Son enseigne montrait un arbre enflammé, et son nom était plus qu'explicite : "Le Tremble Ardent".
Envel se tourna vers la jeune fille.

- "Je dois aller travailler. On se retrouve à l'auberge ?"

Il lui jeta un regard de biais et eut un mince sourire.

- "J'espère que tu trouveras ce que tu cherches."

Aïla hocha la tête. Elle n'avait pas trouvé grand monde pour la renseigner sur Ethnar, à l'époque. Envel avait eu de la chance... Non. Ce n'était certainement pas de la chance.

"Les rêves sont des choses étranges."

Aïla releva son beau visage vers Envel, étonnée. Voyant qu'il ne lui parlait pas vraiment, elle ne répondit pas.
Ils s'arrêtèrent devant une autre auberge, le Tremble Ardent. Aïla regarda la façade, l'enseigne, retint l'endroit où Envel allait travailler. C'était bien, ce n'était pas loin d'où elle-même allait passer ses soirées.

"D'accord ! A l'auberge ce soir... Je ne sais pas à quelle heure on finit, par contre..."

Sa voix mourut devant le petit sourire d'Envel. Celui qu'elle lui rendit fut presque timide :

"Merci, j'espère que toi aussi..."

Elle posa un baiser sur sa joue et s'éloigna vers le centre avec un signe de la main :

"A tout à l'heure !"

Envel regarda un instant Aïla s'éloigner, le visage inexpressif, puis entra. L'homme qui l'avait embauché l'accueillit avec un sourire.

- "Alors, que voulez-vous que je fasse ?" demanda Envel d'une voix tranquille.

Le gérant embrassa la salle principale d'un large mouvement de bras.

- "Une gravure. Une fresque. Une mosaïque. N'importe quoi. Sur les murs. Sujet libre, ce qui vous inspire."

Il jeta un coup d'oeil au jeune homme, impassible.

- "Plus quelques figurines, si vous avez le temps. La salle est à vous, je vous laisse. Je vous fais confiance."

Envel hocha la tête. Dès que l'homme fut sortit, il saisit un de ses poignards et commença par le mur du fond.

Aïla se balada joyeusement dans les rues. Elle n'avait pas assez de temps pour aller à la bibliothèque : Il lui fallait bien plus que deux malheureuses petites heures ! La jeune femme hésita à retourner chez le vieux marchant de pierres, puis renonça. Elle y retournait le landemain !
Finalement, à flaner devant les boutiques, à discuter avec certains passant, à visiter quelques quartiers, le temps passa très vite pour la jeune femme. Aïla revint presque en courrant à l'auberge.
Le gérant hocha la tête en la voyant entrer, et appela une des filles :

"Lanu, aide-la et explique lui tout."

"D'accord."

La jeune femme devait avoir environ vingt cinq ans. Elle posa son plateau sur le comptoir du bar et fit signe à Aïla de la suivre dans une autre pièce. Elle même partit quelques instants avant de revenir avec une robe semblable à la sienne.

"Celle là devrait t'aller. Tu t'apelle Aïla, c'est ça ? Moi c'est Lanu. Je travaille ici depuis trois ans. Le patron a pas l'air commode, mais c'est quelqu'un de bien."

Elle laissa aïla se changer derrière un simple paravent en continuant.

"Tu t'occuperas de la salle avec moi. Il s'agit de prendre la commande des clients et de les servir. Le patron et Gaëlle s'occupent de préparer ce que tu doit amener sur les tables. Prend garde à n'oublier personne, tu dois être rapide et efficace. C'est un rythme rapide, surtout au début, mais si tu as déjà servi tu le sais. Le soir il y a une période de pointe, puis ça se calme, tu verras. Mais il y a parfois des hommes un peu... Ne te laisse pas déborder. Oh ! Cette tenue te va très bien !"

Aïla se regardait dans le miroire en faisant une drole de tête. Un corset noir noir lacé par dessus une petite chemise blanche dont les manches tombaient en laissant nues les épaules, le tout sur une jupe verte sombre veloutée. Etait ce bien son reflet ? Nul doute que la jeune femem qu'elle y voyait était plutôt jolie, belle, même, mais elle avait du mal à s'y reconnaitre. Cette tenue mettait en valeur ses formes douces, sa petite poitrine ronde et sa taille de guêpe, sa peau claire et ses grandes yeux verts, ses épaules minces sous ses boucles dorées et ses jambes fines.

Sans savoir quoi dire de plus, Aïla remercia Lanu en attachant ses cheveux sur sa nuque. Elle se sentait encombrée dans cette tenue, elle qui depuis des années ne portait qu'une simple tunique légère et confortable !

Lanu continuait :

"Tu peux laisser la tenue ici et te changer en arrivant. On finit plutôt tard le soir, mais comme Gaëlle habite ici et qu'il n'y a plus grand monde, c'est souvent elle qui fait les dernières heures. L'une de nous reste parfois pour l'aider. Ce soir, nous verrons bien. Viens dans la salle maintenant, et commençons, nous n'avaons que trop tardé, ils doivent être débordés !"

Aïla sourit et la suivit rapidement Lanu dans la salle, attrappa un plateau et commença son service.

Les murs étaient en bois. Graver les bois était une seconde nature pour Envel. Il travaillait donc avec facilité, et rapidité.
Comme le lui avait conseillé l'homme, il suivait son inspiration. Il couvrait les murs de gravures représentant des scènes mythiques, millénaires ou non, réelles ou non, batailles ou scènes de la vie quotidienne, paysages ou portraits, animaux ou végétaux, formes précises ou abstraites. Tout avec une précision à faire pâlir les plus fins dessinateurs.
Personne ne venant le déranger, le jeune homme perdait toute notion du temps et du lieu, abîmé dans sa tâche, les yeux rivés sur le bois qu'il faisait vivre.
Lorsqu'il eut fait le tour de la pièce, il se releva, s'essuya le front et braqua son regard violet sur son oeuvre. Refaisant le tour, il traquait les moindres détails, les moindres défauts, rajoutait ici un pli de tissu, là une branche, là un remous. Il prenait conscience de ce qu'il avait gravé à ce moment.
C'est ainsi qu'il se rendit compte qu'à un endroit reculé du mur, il avait gravé un jeune homme face à face avec un immense dragon. Et, dans un coin opposé, une jeune fille courant après un aigle.
Envel eut un fin sourire.
Il s'affairait à garnir les appuis de fenêtres de quelques figurines quand le gérant entra. Bouche bée, il observa la fresque nouvellement formée qui s'étendait sur toute la largeur des murs. Il la détailla avec attention, passant parfois son doigt sur le bois ouvragé, avant de se tourner vers Envel avec un grand sourire.

- "Décidemment, vous ne me décevez pas. Vous êtes un véritable artiste. Tenez, ajouta-til en lui tendant une bourse.

Le garçon la saisit et la glissa à sa ceinture. L'homme le regarda, étonné.

- "Vous ne comptez pas ?"

- "Non, répliqua Envel tranquillement. Moi aussi, je vous fais confiance."

Il ouvrit la porte de l'auberge et sortit.

- "Merci."

Il s'éloigna rapidement, au hasard des rues. Ne sachant que faire, il erra un moment avant de s'adosser à un mur et de ressortir la figurine inachevée.
Saisissant son poignard, il s'attela à son passe-temps favori.

Aïla posa un instant le plateau sur le comptoir. Juste quelques secondes...

"Hey ! S'il vous plait !"

Elle attrappa son plateau et se dirigea rapidement vers la table où on venait de l'appeler.

"Bonjour !"

"Trois bierres, s'il vous plait !"

"Je reviens."

Elle prit au passage les commandes de deux autres tables avant de revenir vers Gaëlle pour récupérer les boissons. Les verres en équilibre, le plateau bien au dessus de l'épaule pour ne cogner personne, Aïla repartit slalomer entre les consommateurs, repéra en même temps les nouveaux clients, ceux qui voulaient commander, ceux qui voulaient payer, etc.
Allers retours incéssants.
Comme elle le faisait depuis plusieurs heures déjà.

...

"Aller, viens, je t'invite je te dis !"

Devant son regard rieur et son sourire charmeur, elle céda. Il avait gagné ! Il passa en souriant un bras vainqueur autour de sa taille tandis qu'elle tentait de se trouver une excuse... tout en lui faisant les yeux doux.
Il poussa la porte de l'auberge habituelle, et s'assit à l'une des tables. Il sourit à sa compagne puis chercha une serveuse...
Un éclair doré attira son attention, et ses yeux brillèrent de surprise :

"Le petit oiseau d'or !"

Aïla se dirigeait justement vers sa table, et son sourire s'élargit lorsqu'elle le reconnu.

"Le voleur de la place ! Tu viens dépenser ton butin de la journée ?"

Elle disait cela les yeux pétillants de malice. Il rougit.

"Et bien..."

Aïla sentit peser sur elle le regard du gérant, reprit son sérieux.

"Vous commandez ?"

La commande passée, il la regarda pensivement s'éloigner souplement entre les tables.

"Tu la connais ?"

"Je l'ai déjà rencontrée..."

"Tu l'as apellée petit oiseau !"

Cette fois, la jalousie était parfaitement audible dans la voix de sa conquête du jour. Il tourna son visage vers elle, puis répondit en riant :

"Je ne connais pas son nom !"

Oui, c'était bien dommage, d'ailleurs...Mais cela eut l'air de rassurer un peu la jeune femme, qui entama une nouvelle conversation. Il fit un effort pour lui répondre, lançant ses piques et ses blagues avec son humour habituel. Le jeune homme fut tout de même un peu déçu de voir que c'était Lanu -non qu'il ne l'aimait pas, elle était très jolie !- qui apportait les verres tandis qu'Aïla était occupée à une autre table...
Enfin, nul doute qu'il avait l'intention de revenir le landemain, et pas forcément accompagné !

...

Enfin la salle commençait à se vider. Une partie des clients étaient partis juste avant la nuit tombée pour sortir de la ville, et maintenant que la nuit était bien avancée, c'était au tour des résidants de la cité de quitter l'établissement.

"Aïla !"

La jeune femme se tourna vers le gérant.

"Tu peux y aller, nous allons finir."

"Vous êtes sûr ?"

"Oui."

Aïla posa son plateau avec soulagement et partit dans la piece voisine pour se changer. Comme il lui tardait de retrouver Envel et de pouvoir dormir !

Envel, lorsque les rayons du couchant avaient fini d'illuminer la cité, finit par rentrer à l'auberge. Il croisa Mary, qui s'avança vers lui en souriant.

- "Vous voilà rentré ! Je vous monte tout de suite de l'eau chaude. Votre amie n'est pas avec vous ?"

- "Elle travaille, répondit poliment Envel. J'ignore à quelle heure elle sera là."

Mary hocha la tête disparut dans l'arrière-salle. Envel fit un détour pour aller voir Neyle, et quand il remonta dans sa chambre un large baquet d'eau chaude trônait en son centre, avec à son côté une éponge, un pain de savon et une serviette. Le garçon se déshabilla et se glissa dans l'eau.
Il profita de l'eau chaude un moment, se détendant et fixant le plafond, puis il se lava, se sécha rapidement et enfila un pantalon propre. Encore torse nu, il ouvrit la fenêtre et contempla la cité, laissant le Vent s'infiltrer dans la chambre.

Aïla marchait lentement dans les rues éclairées par la lune. Il se sentait si légère sans ces habits de serveuse ! Mais la fatigue était plus présente que jamais. La jeune femme profitait aussi du silence des rues presque désertes. Quelques badauds et hommes pressés avaient remplassé les foules de passants. Comme si la ville était devenue un autre monde.

Aïla arriva à l'auberge sans encombres. Elle passa par l'écurie. La jeune jument habituée à voyager et à galopper librement n'était pas heureuse d'être restée enfermée. Aussi Aïla resta t elle longtemps avec son amie, assise dans la paille, à lui parler simplement, des murmures qu'elle écoutait attentivement. Qu'elle était surement la seule à comprendre.

Finalement, la jeune femme se releva et lui posa un petit bisous sur le museau. Elle sortit et se dirigea vers l'entrée de l'auberge en chantonant doucement. Un air simple et léger, comme un espoir dans la vie, comme une étoile dans la nuit, comme une caresse dans la solitude. Cette mélodie qu'elle aimait tant, qu'elle chantait si bien de sa belle voix.

Aïla poussa la porte sans voir Envel à la fenêtre. Mary l'accueillit avec soulagement :

"Enfin vous voilà ! Je me faisait un sang d'encre !"

Aïla lui sourit et répondit :

"Bonsoir, Mary. Je suis vraiment désolée de vous avoir inquiétée, mais j'ai fini tard..."

"Enfin ! Comment ne pourrais je pas m'inquiéter, alors qu'il pourrait vous arriver tant de choses ?! Laisser une jeune femme comme vous rentrer seule la nuit, à une heure pareille !! Quels irresponsables ! On ne sait jamais sur qui on peut tomber dans cette ville ! Vous auriez pu vous faire tuer !!"

Aïla fit la grimace. Insouciante. Beaucoup trop, même. On le lui avait déjà dit. Elle ne changeait pas pour autant. Tout cela passait à des kilomètres au dessus de son esprit alors qu'elle regardait la lune et les étoiles en marchant...

"Calmez vous, Mary, il ne m'est rien arrivé, après tout !"

"Merci mon Dieu, heureusement !"

La femme sembla seulement se calmer en voyant l'espression fatiguée d'Aïla. Elle respira un bon coup et lui sourit :

"Votre ami est rentré, et j'ai fait monter de l'eau chaude dans votre chambre aussi. Reposez vous bien."

"Merci beaucoup, Mary."

Aïla grimpa les escaliers de son pas silencieux, s'arrêta devant la porte d'Envel. Dormait-il ? Elle voulait le prévenir qu'elle était revenue, mais s'il ne dormait pas, sûrement avait-il entendu les éclats de voix de Mary juste en dessous...
Elle hésita, puis toqua doucement à la porte.

"Envel ?"

Envel était toujours à la fenêtre, observant le crépuscule et les premières étoiles, et sans doute, rêvant d'un dragon rouge aux yeux d'améthyste... quand quelqu'une frappa la porte.
La voix d'Aïla, à travers le battant.
Envel se tourna.

- "Entre, Aïla."

Sauf qu'à vrai dire, il avait totalement oublié qu'il n'avait pas encore mis de chemise...

Aïla poussa la porte silencieusement et entra. A la vue d'Envel qui n'avait pas fini de s'habiller, elle fut gênée : C'était bien lui qui lui avait dit d'entrer, non ? Bon, c'est que ça ne le gênait pas, alors...

Aïla s'assit sur le lit et lui sourit :

"Je voulais juste savoir comment s'était passée ta soirée. Je suis désolée d'avoir fini si tard."

Elle se laissa tomber en arrière sur le matelas douillet, les yeux sur le plafond.

"Dois-tu y retourner demain ?"

Envel s'assit à côté d'Aïla.

- "Ça s'est plutôt bien passé. Je n'aurais pas à y retourner demain, non. Je n'ai pas regardé ce qu'il m'avait donné, mais cela semble assez confortable."

Il braqua ses yeux violets sur la jeune fille.

- "Et toi ? Pas trop fatiguée ?"

"Tant mieux... J'aimerais aller voir ce que tu as fait, demain."

"Et toi, pas trop fatiguée ?"

"Si. Mais la nuit est douce ce soir."

Hum ! Euh... Le rapport, s'il vous plait ? Ah ? Il n'y en a pas ? Bon ben... tant pis ! Aïla dans toute sa splendeur... Et elle ne s'en rendit même pas compte.
La jeune femme ajouta avec un sourire :

"Ils sont tous très gentils !"

Prenant conscience du regard d'Envel -toujours torse nu, soit dit en passant- sur elle, Aïla détacha ses yeux du plafond et se redressa en rougissant.

"C'est juste le rythme à prendre."

- "Tant mieux."

Envel se leva, alla se pencher à la fenêtre. Les lumières de la ville, ainsi que celle, déclinante, du crépuscule, se reflétaient dans ses yeux et accrochaient des reflets ardents dans les cheveux cuivrés du jeune homme.

- "C'est vrai. La nuit est douce."

Le regard dans le lointain, Envel ne bougeait plus.
Statue vivante. A la recherche d'un rêve oublié.

# Où es-tu ? #

La main du garçon se crispa sur le bois du rebord de fenêtre.

# N'es-tu pas déjà reparti ? #

Aïla regarda Envel à la fenêtre. Immobile. Les yeux dans le vague. Une statue. Un rêve. Un mélange de peur et de tristesse passa dans les yeux verts de la jeune femme : Un rêve qui donnait l'impression de pouvoir disparaître à chaque instant.
La main d'Envel se crispa sur le cadre. Pourquoi cette part d'ombre toujours au fond de lui ? Aïla s'approcha et posa sur cette main la sienne.
Hésita.
Finalement, recula et sortit en murmurant :

"Bonne nuit Envel."

...

Quand Mary toqua doucement à la porte de la jeune femme, elle n'eut pas de réponse. Elle entrouvrit la porte, puis la referma sans bruit. Le bain attendrait. Mary s'éloigna avec un sourire sur les lèvres.
Quand elle dormait, cette fille ressemblait à un ange...

La main d'Aïla se posa doucement sur la sienne. Envel ne bougea pas.
Mais sa crainte s'était enfuie.
La jeune fille sortit de la chambre. Envel resta les yeux fixés sur l'horizon.

- "Bonne nuit Aïla."

Elle avait déjà refermé la porte.
Le garçon resta longtemps immobile. Fixant les étoiles et la ville éclairée.
Les rêves existaient. Et les anges aussi.
A chaque mal, un bien.
La dernière pensée d'Envel fut pour ceux qui l'avaient reniés.
Puis il s'allongea. Ferma les yeux.
Il s'endormit très vite. Mais son dos le brûlait étrangement.

HJ/ Son dos le brule ? Ôo

Aïla ouvrit les yeux. La lumière du soleil levant entrait doucement pas la fenêtre. Elle sourit, se redressa et s'étira comme un chat. Elle avait vraiment bien dormi ! La jeune femme se leva et se prépara en quelques minutes, comme à son habitude. Démêlant ses boucles du bout des doigts, elle sortit de la chambre et descendit dans la salle de son pas gracieux.

"Bonjour, Mary."

"Bonjour Aïla. As-tu bien dormi ?"

"Comme un loir !"

"Tu es matinale pour quelqu'un qui a travaillé si tard !"

Elle rit.

"Je me lève toujours avec le soleil, quelque soit la saison !"

Hey ! En hiver, on ne pouvait pas vraiment dire qu'elle était une lève tôt !
Mary lui servit rapidement un petit déjeuné copieux qu'Aïla savoura lentement.

"Quel est le programme d'aujourd'hui, si ce n'est pas indiscret ?"

"Acheter quelques vêtements, du matériel de voyage, des vivres, réccupérer un objet que j'ai laisser hier, et aller à la bibliothèque. Et bien sûr, ce soir, mon service à la taverne."

Mary la regarda les yeux ronds en essuyant ses mains potelées sur son grand tablier blanc.

"Et ben ! Tu ne chome pas, toi ! Par contre, fait moi le plaisir s'il te plait de trouver quelqu'un pour te raccompagner ce soir !"

Aïla éluda la réponse, et Mary soupira avant de changer de sujet :

"Et ton ami ?"

"Envel ? En fait... Je ne sais pas trop."

Mary observa un instant Aïla perdue dans ses pensées avant de hocher la tête et de s'éloigner. Elle disparut dans une piece voisine -la cuisine ?- puis cria à la jeune femme :

"Dis moi si tu veux autre chose à manger !"

Aïla déclina la proposition, et tourna de nouveau son attention sur l'assiette déjà débordante.

Envel se réveilla en entendant Aïla bouger dans la pièce d'à côté. Il jeta un coup d'oeil par la fenêtre : le soleil se levait à peine.
Il s'assit, s'étira et ressentit à nouveau cette brûlure, comme une décharge électrique, lui traverser tout le dos. C'était assez déconcertant, mais le garçon ne s'en inquiéta pas outre mesure.
Il se leva, se lava le visage et enfila une chemise claire en lin, avant de se passer rapidement les doigts dans ses cheveux cuivres et de sortir sur le palier.
En entendant Aïla exposer son programme, Envel se rendit compte qu'il n'avait, lui, rien prévu. Travailler ne s'estimait plus indispensable, il n'avait aucune recherche à faire, mais il n'avait pas envie de passer la journée à se tourmenter sur Ethnar, les dires du Vent et la véracité de la légende.
Il remit ses réflexions à plus tard et descendit les escaliers.

- "Bonjour, Aïla."

Mary n'était pas visible, mais en entendant des bruits du côté de la cuisine le jeune homme en déduit qu'elle n'était pas loin. Il s'assit en face d'Aïla et lui adressa un de ses demi-sourires si particuliers.

- "Bien dormi ?"

Aïla leva la tête en entendant quelqu'un descendre les escaliers. Son visage s'illumina :

"Bonjour Envel !"

Son sourire. Aïla rebaissa précipitement les yeux sur son petit déjeuner. Le temps de retrouver le controle de son coeur.

"Bien dormi ?"

"Et bien... Je dois avouer que dormir de temps en temps sur un matelas ne fait pas de mal !"

Elle pencha la tête sur le côté, pensive.

"Même si les étoiles m'ont manquées..."

Tournant de nouveau son regard vert sur le visage d'Envel, elle sourit :

"Et toi ?"

Envel hocha la tête en silence. Il fixa une pomme, la saisit et la fit pensivement tourner entre ses doigts.

- "Tu as apparemment un programme chargé. Pour ma part, je n'ai pas prévu grand-chose. Je compte retourner à la bibliothèque."

Il posa ses yeux violets sur la jeune fille, impassible.

- "Tu m'accompagnerais ?"

Les yeux d'Aïla se mirent à briller. Jusque là, c'était elle qui était restée avec Envel, ou lui avait dit de les accompagner, Neyle et elle. Il lui avait dit qu'elle ne le dérangeait pas, au contraire. Mais jamais encore 'viens avec moi'. Et si cela n'était que pour aller à la bibliothèque, ces deux mots qu'il avait prononcés lui faisait vraiment plaisir !

"Bien sûr ! Je..."

Elle se tut, la mine contrariée, puis sourit de nouveau en se corrigeant :

"Enfin, je préfère t'y rejoindre, il faut d'abord que je passe... dans une boutique."

Aïla ne savait pas comment il réagirait pour la pierre. La jeune femme avait peur qu'il refuse, et elle n'osait lui en parler avant... C'est à ce moment seulement qu'Aïla prit conscience que depuis qu'elle l'avait trouvée, elle voulait lui offrir.
La jeune femme finit son assiette.

"Où vais-je te retrouver ?"

HJ : ahahaha, ma supposition était bonne ! \o/
mais je n'en étais pas sûre ^^

Envel hocha la tête, réfléchit un instant.

- "Je resterai près de l'entrée, comme ça tu n'auras pas à chercher."

Il se leva, repoussa sa chaise.

- "A tout à l'heure, Aïla."

Il remonta dans sa chambre, passa sa ceinture à laquelle étaient accrochés plusieurs de ses poignards et ses étoiles de jets, fourra quelques affaires dans son sac qu'il se passa en bandoulière. Il redescendit, salua la gérante, passa faire une caresse à Neyle puis sortit.
Il n'y avait pas encore grand-monde dans les rues. le ciel était clair, promesse de beau temps.
Envel leva la tête et un léger sourire flotta sur ses lèvres.
Pour la première fois depuis six ans, il était heureux.

Aïla hocha la tête pour confirmer la proposition d'Envel.

"A tout à l'heure !"

Elle se leva, débarrassa la table et apporta le tout à Mary.

"Merci, c'était très bon. Je vais y aller, je ne rentrerais que ce soir."

Aïla monta ensuite prendre ses affaires, et sortit. Elle passa un long moment avec Neyle avant de retourner dans les rues. Celles du centre étaient bondées, comme d'habitude. Les marchants qui n'étaient pas déjà installés dressaient leur étalage. Aïla aida une femme chargée de son nourrisson à finir de monter le sien, et celle-ci lui donna quelques pieces et un savon en échange. Un savon ? Aïla regarda, surprise, la femme déballer ses sacs sur la planche de bois fraichement fixée. De toutes les formes et de toutes les couleurs, les douces senteurs se mélangèrent à l'air de la ville. Celui qu'elle lui avait donné était un soleil au parfum discret et délicat -des fleurs ? Aïla la remercia chaleureusement, puis poursuivit son chemin.
Retrouver la petite boutique n'était pas difficile... Peut-être même y arriverait-elle avant la nuit si elle cessait de s'arrêter devant chaque étalage et chaque vitrine !

Envel arriva facilement devant la grande bibliothèque, où un grand nombre de personnes s'affairait déjà malgré l'heure matinale. Il entra, suivit les rayonnages des yeux, cherchant quelque chose pouvant l'intéresser. La blibliothèque contenait une quantité effarante de volumes de tous genres, et le choix était pour ainsi dire varié. Le jeune homme finit par tendre la main et attraper un livre au hasard, avant de retourner près de l'entrée. Ce ne fut qu'une fois assis, au calme, qu'il examina l'ouvrage avec plus d'attention.
Il s'agissait d'un lourd volume noir, sobre, mais dont le résumé aiguisa l'intérêt d'Envel. L'auteur, dont le nom lui était inconnu, procédait à une récapitulation des différents mondes "parallèles" à Endora, et une grande réflexion sur lesdits mondes. En particulier le fait que la plupart venant de mondes parallèles le taisaient, ou semblaient incapables d'y retourner. D'après l'auteur, il existait cependant des exceptions.
Fasciné, Envel se plongea dans le recueil.

Aïla poussa la porte de la boutique, comme elle l'avait fait la veille. Le petit carillon de cristal avertit son arrivée d'un son cristallin.

"Bonjour !"

Elle n'eut pas à attendre longtemps pour entendre les petits pas rapides et secs sur le vieux plancher. Quelques secondes plus tard, la tête du vieil homme dépassait par dessus le bureau. Ses petits yeux sombres brillèrent en la reconnaissant.

"Oh ! Bien le bonjour, Demoiselle. Vous venaient récupérer votre pierre, je présume ? Attendez donc ici, je reviens !"

Aïla sourit en hochant la tête, puis se tourna vers les vitrines tandis que le petit homme repartait dans l'arrière boutique. Que de belles pierres... Certaines qu'elle reconnaissait, d'autres qu'elle n'avait jamais vues... Et d'autres encores dont elle ne reverrait jamais de semblables !
L'homme revint, grimpa sur son tabouret et déposa doucement une petite étoffe de velour sur le plan. Il attendit qu'Aïla s'approche pour la déplier. Aïla lui fit un magnifique sourire en voyant la pierre finement percée. Un travail magnifique... son respect pour le vieil homme grandit encore. Ce n'était pas comme ces 'bijoutiers de foire', comme il les appelait avec mépris, qui trouaient la pierre sans prendre garde à celle-ci, détruisant son intégralité. Ici, la pierre n'en semblait que plus belle, comme si elle avait toujours existé pour être sous cette forme. Le trou, cette fois, faisait partie de la pierre, au lieu de la diminuer.

"J'ai supposé un pendentif, et j'ai ajouté une attache. Cependant, si cela ne vous convient pas, je peux la retirer immédiatement."

Aïla regarda le petit cercle d'or passé dans la pierre. Un pendentif ? Bien sûr... La jeune femme en avait la gorge serrée.

"Elle est magnifique, merci beaucoup."

Il hocha la tête.

"C'est moi qui vous remercie, j'ai rarement eu l'occasion de travailler de telles pierres."

Devant l'air surpris d'Aïla qui n'avait pas compris, il s'expliqua :

"La pierre en elle-même est, comme je l'ai dit, belle mais pas vraiment exceptionnelle. C'est dans son caractère qu'elle sort de l'ordinaire... Et pour supposer le caractère d'une pierre, il faut la travailler, et de l'expérience pour la comparer. Je peux le dire car j'ai étudié des milliers de pierres, la votre est une des plus généreuse que j'ai jamais vue."

Pouvait-il sembler étrange de qualifier une pierre de 'généreuse', Aïla ne s'en étonna pas. Elle s'était donnée à l'artiste pour qu'il la travaille dans toute sa splendeur.
Aïla utilisa le peu qu'elle avait gagné pour le payer. Sa bourse s'en trouva une nouvelle fois bien délestée... Elle quitta la boutique le sourire aux lèvre, l'écrin de velour rangé avec précaution au fond de sa saccoche. En la prenant quelques instants plus tôt dans sa paume, la pierre lui avait parue plus chaude que la dernière fois... Mais elle n'avait pas posé plus de questions, et se dirigeait de son pas dansant vers la bibliothèque.