Un petit village aux abords de la route qui mène à Firewall. Des champs dispersés, des enclos où broutent chevaux, vaches, moutons. Des maisons aux toits de chaume , éclairées par le soleil couchant. De la lumière perle de certaines fenêtres et vient s’étaler en flaques lumineuses sur le sol de terre battue jonché de paille et d’avoine.
L’atmosphère est paisible. Bien plus paisible que l’esprit du garçon aux cheveux cuivrés qui se tient devant la porte d’une des maisons, à laquelle jouxte une écurie.
Envel tente d’apaiser le tremblement de ses mains, prend une grande inspiration, et frappe à la porte.

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Une femme blonde, assise dans un fauteuil. Un livre est ouvert sur ses genoux, mais elle ne tourne pas les pages. Ses yeux bleus dans le vague, elle revit une époque plus heureuse…

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- « Maman, maman ! J’ai vu Grand-Père le Sage aujourd’hui, et tu sais ce qu’il m’a dit ? »

- « Non, Envel, qu’est-ce qu’il t’a dit ? »

- « Il a dit que mes yeux seraient la cause de mon départ… Dis maman, ça veut dire quoi ? »

- « Je ne sais pas Envel. Mais il ne faut pas toujours écouter Grand-Père le Sage, il est vieux, il radote parfois. »

- « C’est quoi radoter ? »

La jeune femme éclate de rire.

- « C’est dire des bêtises ! Allez, viens, ton père à besoin de toi. »

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Elle savait pertinemment que ce que disait le doyen du village était toujours vrai. Mais elle n’aurait pas fait le lien avec la disparition d’Envel si il n’y avait pas eu le fou du village. Celui qui voyait tout.
Le lendemain du pillage, à la découverte du cadavre du brigand, ce fut l’émoi. Qui, pourquoi ? Beaucoup pensaient, ou voulaient penser, qu’il avait été piétiné par les chevaux dans la panique. Mais son corps était intact.
C’est alors que celui qu’on appelait le fou avait débarqué. Il avait dit ces simples mots :

- « Cheveux de feu l’a regardé et boum ! Il est mort. »

Il était parti d’un grand rire et s’était enfui, devant l’assemblée tétanisée.
Personne ne voulut prendre en compte les dires d’un fou. Mais chacun savait, au fond de soi, qu’un fou ne pouvait pas mentir.
La femme serra fiévreusement son livre. Le souvenir de son garçon hantait son esprit. Mais la peur de savoir qu’il possédait un tel pouvoir, la peur d’imaginer qu’il pouvait un jour revenir et la regarder dans les yeux, ces yeux qui pouvaient tuer, surmontait tout.
Elle sursauta soudain. On frappait à la porte.
Elle se leva et alla ouvrir.
Deux yeux. SES yeux.
La femme recula et poussa un cri.
Mais ce n’était pas un cri de joie.

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Envel s’était préparé à cette réaction. Il l’avait imaginé des centaines, et des centaines de centaines de fois.
Mais la douleur qu’elle lui causa ne fut en rien atténuée.
Il ne dit rien. L’expression de sa mère suffisait à confirmer ce qu’il redoutait.
Elle savait.
Il y eut un mouvement dans le dos de sa mère. Son père, alarmé par le cri, arrivait. Devant Envel, il se figea.

- « Toi, balbutia-t-il, toi… »

Cela aurait pu paraître encourageant. Mais Envel savait qu’il n’en était rien.
Pourtant, il avait espéré jusqu’au bout.
Des pas dans l’escalier. Sa sœur, devenue une belle jeune femme aux cheveux cuivres, comme Envel, apparut. En apercevant son frère, qu’elle n’avait pas vu depuis six ans, elle porta une main tremblante à sa bouche.

- « Va-t-en. »

C’était son père qui avait parlé. D’une voix tremblante, mais inflexible.
Il tendit la main. Vers l’opale que portait Envel à son cou.
L’arracha.
Envel savait ce que cela signifiait.
Tous les membres de sa famille portaient une opale. Opale de la couleur de leurs yeux, symbole de leur famille si particulière, où pas un n’avait la couleur des yeux de l’autre. Une opale grise pour son père, bleue pour sa mère, verte pour sa sœur…
Violette pour Envel.
Ce geste… impossible de se tromper.
Envel était renié. Il n’appartenait plus à leur famille.
Juste avant que son père ne referme la porte, Envel eut le temps de voir les beaux yeux de sa sœur se remplir de larmes.

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Envel marchait. Il ne savait pas où, il ne savait pas jusqu’à quand. Il marchait, c’est tout.
Dans une flaque présente au milieu du chemin, le garçon aperçut son reflet.
Son reflet et ses yeux, yeux violets qui le fixaient sans expression.
Yeux qu’il haïssait de toute son âme.

# Meurs. #

L’eau se troubla. Ses yeux étaient toujours visibles.

# Meurs ! #

L’eau, par un phénomène incompréhensible, gela. Son reflet était plus net que jamais.

# MEURS ! #

La glace se brisa. Envel se laissa tomber à genoux.
Enfouit son visage dans ses mains.
Pleura. Pour la première fois depuis six ans.
Il avait perdu.


HJ : désolée de faire un rp non dispo, mais je vois vraiment personne débarquer et le surprendre comme ça ^^ à part peut-être aïla, vu qu'elle connaît déjà son histoire donc Aïla, si tu veux débarquer tu peux ^^

Aïla marchait à côté de Neyle, sur le chemin menant à Firewall. Le temps clément lui avait finalement permis d'arriver assez vite. Elle avait acheté quelques provisions dans le village précédent... Il faudrait bientôt que la jeune femme pense à renflouer légèrement ses économies !
*Sûrement trouverai-je à faire quelque chose à Firewall...*
Il y avait de nombreuses possibilités, et elle-même avait de nombreuses capacités...
Quand il s'agissait de se débrouiller dans la forêt ou en contrées sauvages, elle n'avait aucun problème, entre chasse et cueillette Aïla savait parfaitement se débrouiller ! Mais une fois revenue en ville...
Ah ! Pourquoi les humains étaient-ils si compliqués ?!

Neyle ralentit et dressa les oreilles. Intriguée, Aïla releva la tête, sortant de ses pensées : Quelqu'un se tenait sur le sol. La jeune femme fronça les sourcils : Cette personne avait-elle un problème ? Elle était malade ? Ou... Elle pleurait ?! Aïla fronça les sourcils et accéléra pour s'approcher :

"Excusez-moi, avez vous un..?"

'Problème'.
C'est ce qu'elle voulait dire. Elle ne le dit pas. Elle remarqua d'abord les beaux cheveux cuivrés.
Aïla ralentit soudainement. Derrière ces cheveux, un visage. Et, elle l'avait deviné à présent, sur ce visage deux yeux violets envoutants.
Murmure :

"Envel."

Aïla s'approcha, hésitante, pour s'accroupir près de lui. Inutile de demander ce qu'il s'était passé. Doucement, elle posa la main sur l'épaule du jeune homme.

Une voix.
Une main sur son épaule.
Aïla.
L'avait-elle suivi ? Non. Mais était-ce vraiment un hasard ?
Non.
Envel posa ses mains sur ses genoux.
Le regard vide, fixé sur un point imprécis.

- "Je le savais, pourtant."

Sa voix avait un timbre sourd.
Il le savait. Il l'avait toujours su. Et s'il ne s'était pas dévoilé à Aïla, il ne serait sans doute jamais retourné en arrière.
Pourtant, il ne lui en voulait pas.
Pire : il ne le regrettait pas.
Mais lui aurait-il vraiment fallu la confirmation de ce qu'il redoutait, pour pouvoir tourner la page ?

- "Aïla... Qu'est-ce que tu fais ici ?"

Sa voix avait retrouvé son intonation impassible. Mais il ne pouvait toujours pas fixer la jeune fille dans les yeux.

"Je le savais, pourtant."

Non, on n'était jamais sûr de rien. Et c'est pour cela qu'il avait éprouvé le besoin d'en être sûr.
Pour ne pas avoir de regrets.
Aïla serra quelques fractions de secondes Envel dans ses bras. Les larmes de la personnes qu'elle aimait tant voir sourire étaient douloureuses à son coeur. Pourtant pleurer faisait du bien, elle le savait.

"Je suis vraiment désolée."

"Aïla... Qu'est ce que tu fais ici ?"

La jeune femme se releva et tira la main d'Envel pour qu'il fasse de même. Se relever. Et mine de rien, elle avait un peu de force la petite ! Neyle s'était approchée et regardait Envel d'un air intrigué. Alors lui aussi se mettait à pleurer maintenant ? La petite jument donna un petit cou de tête dans l'épaule du jeune homme. Aïla sourit malgré un léger voile de tristesse sur son visage, et répondit :

"Je vais à Firewall... A la grande bibliothèque de la ville, plus précisément."

Elle hésita, joua avec sa manche entre le bout de ses doigts :

"Et toi..? Où vas-tu maintenant ?"

Sous l'impulsion d'Aïla, Envel se leva.
Parce qu'il n'allait pas rester indéfiniment immobile à fixer le sol...
...
Neyle, semblant comprendre que quelque chose n'allait pas, donna un petit coup de tête au garçon. Celui-ci lui caressa doucement l'encolure, le regard vague.

"Et toi ?... Où vas-tu maintenant ?"

Envel posa ses yeux sur les morceaux de glace brisée éparpillés sur le sol.
Comment diable avait-il pu réussir à geler l'eau ?
Phénomène incompréhensible, mais explicable. L'élément, ne pouvant se briser sous le regard d'Envel dans sa forme liquide, avait choisi de fusionner.
Envel savait qu'il ne réussirait plus à reproduire ce phénomène.
Du moins, il espérait qu'il n'atteindrait plus jamais un tel niveau de désespoir que même l'eau choisissait de se briser devant son regard violet.
Regard qui l'avait banni.
Le jeune homme se rendit soudain compte qu'il n'avait pas répondu à la question d'Aïla.

- "Je ne sais pas."

C'est vrai. Avant, il marchait sans but, et cela lui suffisait.
Mais maintenant...
Maintenant, il ne pouvait plus.

Aïla regardait Envel perdu dans ses pensées. Il semblait absorbé par la contemplation de...
De la galce ?! Par un temps pareil ? Aïla fronça les sourcils. Voilà qui paraissait fort peu naturel... La jeune femme se pencha pour en prendre un morceau et l'observer. Entre ses doigts, l'eau gelée fondit presque instantanément pour couler et reformer une flaque claire à ses pieds.
Oui, c'était bien de la glace. Elle regarda Envel avec curiosité. Etait ce lui qui l'avait crée ? Elle savait pourtant qu'il était du clan du feu...

"Je ne sais pas."

Aïla lui sourit :

"Viens avec moi."

Se rendant compte de ses paroles, Aïla rougit en baissant la tête.

"Enfin, pourquoi ne nous accompagnerais-tu pas à Firewall, Neyle et moi ?"

Elle y resterait sûrement plusieurs jours, il faudrait qu'elle trouve une auberge pas trop chère où dormir. Y en avait-il près du centre ? Elle n'était encore jamais venue à Firewall...
Son sourire s'élargit :

"Tu me ferais visiter ?"

"Viens avec moi."

Envel leva enfin la tête. Aïla s'empourpra et reformula sa phrase d'une voix gênée.
Avec son éternel sourire, elle lui demanda s'il lui ferait visiter Firewall. Bien malgré lui, Envel esquissa un mince sourire.

- "A dire vrai... Je ne suis jamais allé à Firewall."

Il ajouta, assez rapidement :

- "Mais je veux bien t'y accompagner."

Aïla lui lança un grand sourire.

"Nous visiterons à deux dans ce cas !"

Elle tourna son regard vers le chemin devant eux... et se mit à rire.

"Bon ben... Allons y !"

Aïla se remit à marcher, Neyle calant son pas sur le sien. Une foulée souple, légèrement sautillante, comme si le ciel tentait de la tirer vers le haut.

Un peu plus tard, elle ouvrit son sac sans s'arrêter et attrappa trois petites pommes, celles à la fois acides et sucrées qu'elle aimait tant. Refermant soigneusement les boucles de cuir, elle le replaça sur son épaule. Rejetant ses boucles d'or dans son dos, elle croqua dans une des pommes. Délicieuses. Comme d'habitude.
Elle garda le fruit entamé dans sa main, donna le deuxième à Neyle puis se tourna vers Envel pour lui tendre le dernier :

"En veux-tu ?"

Envel regarda un instant Aïla s'éloigner sur le chemin. Elle riait.
Elle riait toujours. Comment faisait-elle ?
Instinctivement, le jeune homme porta la main à son cou.
Il suspendit son geste.
Son opale n'y était plus.
Au moment où cette évidence se fit dans son esprit, il ressentit une douleur aigüe dans sa nuque.
Passant sa main sur l'endroit douloureux, il l'en ressortit couverte de sang.
La chaîne, en étant arrachée, avait meurtri la nuque d'Envel et crée une blessure, certes superficielle, mais profonde.
Aïla se retourna soudain, et tendit avec son éternel sourire une pomme au garçon. Celui-ci la prit de sa main immaculée.
Il ne voulait pas inquiéter Aïla. Pas après l'évènement. Pas après le simple fait qu'elle soit venue.

- "Merci."

Il observa la petite pomme un instant, puis croqua dedans. Avisant une petite source proche, il s'écarta du chemin un instant pour rincer sa main couverte de sang.
Sa blessure saignait toujours. Mais il préférait une douleur matérielle à celle qui étreignait son coeur depuis qu'il avait vu les yeux de sa soeur se remplir de larmes.

Alors qu'Envel revenait vers Aïla, celle-ci fit une mimique qui déforma totalement son visage.
Le garçon s'arrêta, quelque peu interloqué.
Un souvenir lui revint soudain. Les grimaces qu'ils faisaient à sa mère pour la faire rire.
Aïla essayait de le faire... rire ?
Envel se passa la main dans ses cheveux cuivrés.
Il y avait toutes sortes de rires. Des rires joyeux, des rires moqueurs, des rires effrayants, des rires narquois, des rires tristes, des rires amers...
Mais lui... Lui ne riait pas.
Enfin... Il ne riait plus.
Il n'avait pas rit depuis tellement longtemps qu'il ne se souvenait plus du son de son propre rire.
Et Aïla voulait qu'il rie ? A ce moment ? Alors qu'il venait de se faire bannir de sa propre famille ?
Envel posa pensivement ses yeux violets sur la jeune fille, qui entre temps avait retrouvé une expression neutre. Mais d'où venait-elle ?
Le garçon ne put retenir un léger sourire. Oui après tout... Elle réussissait à le faire sourire, et ça, c'était déjà une victoire.

- "Je suis navré, Aïla. Je ne ris pas facilement, et encore moins dans ses occasions."

Il planta ses yeux violets dans les siens.

- "Mais je te remercie d'avoir essayé."

Aïla sortit soudain de ses pensées, le regarda, presque étonnée de revenir à la réalité. Comme il était beau quand il souriait...
Elle dit doucement :

"Rire ? C'est vrai, j'aimerais t'entendre rire... Mais là... Non, là, je voulais juste un tout petit peu moins de tristesse. Ton magnifique sourire me suffit. Bien plus que tu ne peux l'imaginer."

Un sourire si précieux venant de sa part. Alors qu'elle à côté souriait tout le temps, à tout le monde... Un sourire pouvait-il perdre sa valeur ? Pouvait on se lasser du sourire de quelqu'un ? Ou s'y habituer au point de ne plus le voir ? Sourire était si simple pour elle, presque commun... Mais elle avait tant d'amour à donner. Un peu d'amour et de joie pour dissiper les ombres.
Oui, elle voulait éclairer toutes ces ombres qui l'entourait.

Aïla releva la tête et sourit à Envel en retour. Un sourire un peu moins épanoui que d'habitude, peut être. Mais sincère, sans aucun doute. Aïla souriait toujours avec ses lèvres, ses yeux et son coeur. Pour Envel d'ailleurs, bien plus avec son coeur...
Neyle vint toucher le bras de la jeune fille. Aïii ! Voilà qu'elle recommençait ! Elle s'obligea à sortir de ses pensées en secouant ses cheveux blonds, et retourna sur la route.

Envel regarda un instant Aïla s'éloigner avec un regard... particulier.
Un regard que personne ne lui avait jamais vu.
Il n'aurait pas fallu qu'Aïla se retourne à ce moment...
Ou aurait-il fallu, au contraire ?
Envel la rattrapa sur le chemin sans avoir trouvé la réponse.
Il jeta un coup d'oeil à l'horizon. Le soleil s'était couché, mais les lumières de la cité se profilaient au loin.
Envel sortit un de ses poignards et commença à tailler un morceau de bois.
Impassible.
Et le sang, dans son cou, continuait de couler.


HJ : navrée, pas d'inspiration sur ce coup-là ^^

C'est Neyle qui sentit l'odeur du sang. Comment pouvait-il y avoir du sang si proche alors que, de son point de vue, tout était calme ? Son attention se porta aussitôt sur Aïla. Etait-elle blessée ? Non, l'odeur ne venait pas de sa jeune maitresse. La petitejument s'approcha d'Envel, reniffla ses vêtements jusqu'à donner un petit coup de nez dans son épaule.
Aïla observa son manège, intriguée, avant de froncer les sourcils :

"Qu'y a-t-il, Belle ?"

Neyle releva la tête du cou du jeune homme avec un léger hennissement.

"Neyle ! Tu as du sang sur le nez !! Mais..."

En un bond, Aïla était derrière le jeune homme et tirait légèrement sur son col pour dégager la blessure.

"Recule, Belle. Envel ! Mais tu es blessé ! Pourquoi ne pas l'avoir dit ?"

La peau était coupée net, et la plaie saignait abondament, mais cela ne semblait pas trop grave. Aïla soupira de soulagement et recula d'un pas pour ouvrir sa saccoche :

"Laisse-moi nettoyer."

Aïla avait remarqué la blessure. Il aurait dû s'en douter. Et il savait que sa réaction était stupide.
Mais, quand la jeune fille approcha sa main pour nettoyer la lésion, Envel la lui saisit.

- "Aïla..."

Il écarta doucement sa main. Il se rendait bien compte de sa stupidité.
Mais...

- "Cette blessure ne m'appartient plus."

Paroles sans sens. Du moins, pour Aïla.
Pas pour Envel.

- "Je suis navré. Mais je ne peux pas. Et puis, je préfère cette douleur à une autre."

Il savait qu'il n'allait pas se vider de son sang avant d'arriver à Firewall. Il savait aussi que là-bas, il irait trouver un guérisseur pour refermer sa blessure.
Mais la brûlure qu'il ressentait dans sa nuque lui empêchait de penser à la brûlure beaucoup plus douloureuse qui ravageait son âme.
Du moins en partie...

Aïla arrêta son geste quand Envel lui saisit la main. Puis fit la moue en entendant ses paroles :

"J'ai du mal à te comprendre, Envel, tout ce que je sais c'est que tu es blessé, je ne peux quand même pas ne rien faire alors que je le peux !"

Elle essaya de résister, de retirer sa main de la sienne.
Cacher une douleur de l'âme. Cette plaie était la trace d'un cordon, d'une chaine. D'un collier. De son opale. Celle de la couleur de ses si beaux yeux. Aïla avait remarqué qu'il ne l'avait plus. Mais cette plaie... non. Comment n'avait elle pu la voir ?! On avait du lui arracher brutalement... Elle ne savait pas exactement ce que ce pendantif représentait pour le jeune homme, mais elle le savait important.
Aïla regardait la plaie avec désespoir. Elle saignait. Et on lui demandait de ne pas la soigner ?! Elle devait pourtant être douloureuse.

"La douleur n'est pas la solution pour en cacher une autre."

La jeune femme le regarda, les yeux brillants :

"Laisse moi la soigner !!"

Le soigner de force. Cette pensée traversa son esprit. Le soigner, contre son gré s'il le fallait ! Aïla tenta une nouvelle fois de dégager sa main. Puis ouvrit des yeux ronds. Qu'est ce qu'il lui prenait ?! Bien sûr que si, elle comprenait une partie de ce qu'il ressentait. Elle ne pouvait pas faire semblant du contraire.
Aïla baissa la tête, laissa retomber sa main.
C'était son choix.

"Je désaprouve."

Elle rangea les affaires qu'elle avait sorties et repartit sur le chemin, le visage caché derrière ses boucles blondes.

"Idiot."

Le murmure, Envel ne l'avait peut-être pas entendu tellement il était bas. Mais ce n'était pas méchant. Non, Envel était loin d'être idiot, elle le savait. Pourtant... A le voir ainsi souffrir et qu'il l'empêche pourtant de l'aider dépasser presque son entendement. Et c'était le seul mot qui lui était venu à l'esprit...
Neyle regarda les deux humains sans comprendre avant de suivre Aïla sur la route de terre.

Envel regarda un instant Aïla s'éloigner. Son air était resté impassible, mais dans son coeur il y avait une douleur de plus.
Il ne voulait pas l'inquiéter.
Il la rattrapa. Marcha un instant en silence à côté d'elle. Puis taillant toujours le morceau de bois en un aigle à la tête altière, il parla.

- "Aïla, ma douleur n'est pas sensé être la tienne. Pourquoi t'en fais-tu ? Je ne vais pas mourir sur la route."

Il hésita un instant, puis planta ses yeux violets dans ceux de la jeune fille.

- "Mais si cela peut faire revenir le sourire sur ton visage, alors vas-y. Je te laisserai faire."

Il n'avait pas vraiment réfléchi à ses paroles. Mais ce qu'il savait, c'est qu'elles étaient sincères.

Aïla s'arrêta de nouveau, hésita :

"Je... Non, tu ne vas pas mourir mais... Comment puis je rester sans rien faire si je peux alléger ne serait-ce qu'un peu la douleur de quelqu'un ? Même superficielle... N'y a-t-il pas assez de souffrance comme ça ? ça me fait mal de voir souffrir ceux que j'aime, ça me fait mal de te voir souffrir Envel !"

"Je te laisserai faire."

Aïla le regarda les yeux ronds, puis soupira et ferma un instant les yeux en se massant les tempes :

"Alors là, je ne te comprends vraiment plus !"

Elle rouvrit les yeux pour ccroiser son regard, mais du coup ne savait plus quoi faire. Le soigner ? Mais il acceptait à contre coeur... Pour la faire sourire ? Quelle idée ! Qu'est ce qu'il lui arrivait d'un seul coup ? Elle plissa les sourcils comiquement, sans que cela ne l'aide à comprendre...
Soudain les lèvres fines de la jeune fille se plissèrent et, ne pouvant se retenir plus longtemps, elle éclata de rire.
Se reprenant, Aïla reprit plus sérieusement :

"Tu n'as pas besoin de faire tes choix en fonction de moi, Envel."

Avec un sourire moqueur, elle ajouta :

"Garde cette plaie et cette douleur jusque Firewall si tu le souhaites -je ne te laisserai bien de toute façon pas aller plus loin comme ça- mais alors permet moi de mettre juste un pansement pour ne pas que tu taches tes vêtements, le sang coule dans ton dos."

Aïla se mordit l'intérieur de la joue. Elle pourrais peut être accepter l'idée de ne pas faire plus. Avec le sourire. Pour Envel. Enfin... Cela allait à l'encontre de toutes ses impulsions ! Laisser souffrir quelqu'un...
*Il ne vas pas mourir, il ne va pas mourir, Aïla ! Il ne va pas mourir...*
La jeune femme secoua la tête en signe de résignation, faisant voler ses boucles autour de son visage fin.

"Juste un pansement ?"

Envel regarda impassiblement Aïla essayer vainement de le comprendre. Puis elle éclata de rire, sourit, et proposa un compromis. Le jeune homme eut un de ses demis-sourires si particuliers.

- "Ça me va. Puisque ça a marché."

A quoi faisait-il allusion ? Simplement au fait qu'Aïla avait retrouvé le sourire...

Aïla rougit : Il était tellement facile de l'avoir, de toute façon...
Elle rouvrit sa sacoche et attrappa de quoi panser la plaie avant de passer derrière Envel. Aïla eut alors un sourire gêné :

"Euh... Tu pourrais te baisser s'il te plait ?"

Puis elle essuya le sang, ses doigts légers passant doucement autour de la plaie sans la toucher. Respecter le compromis. La jeune femme aposa finalement le pansement par dessus, et recula d'un pas avec un sourire :

"Voilà, nous pouvons y aller !"

S'ils s'arrêtaient aussi souvent, ils n'étaient pas près d'arriver à Firewall ! Mais qu'importe, elle n'était pas pressée...

Envel laissa Aïla faire. Il frémit légèrement quand il sentit les doigts fins de la jeune fille sur sa nuque.
Puis ils repartirent. Envel s'affairait toujours sur sa figurine.
Il replaça le poignard à sa ceinture, le remplaça par un plus fin pour creuser les détails. Il sculptait vite et avec sa dextérité habituelle. Lorsqu'il eut terminé, il leva la figurine à hauteur de son visage pour qu'elle soit éclairée par la lune.

- "Ressemble-t-il à l'aigle d'Aunco ?"

Question innocente, posée avec flegme. Mais, si l'on observait la figurine, on se rendait compte qu'elle était la copie conforme de l'aigle qu'ils avaient croisé un jour plus tôt.
Pourtant, Envel ne l'avait aperçu que quelques secondes, et de loin...

Aïla regardait Envel sculpter avec curiosité, admirant les gestes précis et si beaux de ses mains. Un oiseau. Un aigle. Cet aigle...

"Ressemble-t-il à l'aigle d'Aunco ?"

Aïla resta bouche bée quand il montra enfin la figurine à la lumière de la lune. Elle s'en approcha, posant presque son nez dessus en louchant pour être sûre du moindre détail. Oui, le moindre détail. Tout était exactement conforme au majestueux animal d'Aunco. L'admiration lui fit faire un sourire complètement gaga, puis elle se reprit et releva son visage vers Envel :

"C'est lui. Sans aucun doute !"

Ses yeux verts brillaient tandis qu'elle le regardait. Comment pouvait-il sulpter ainsi un aigle qu'il avait de loin pendant quelques secondes ?! Sulpter, donner vie à la figurine... Lui donner une âme. Avait-il capturé celle de l'aigle ? Il était vraiment stupéfiant.

"Il est merveilleux."

Elle détourna soudain le regard en rougissant. Enfin, euh... oui, bien sûr, l'aigle était merveilleux, pourquoi Envel penserait-il qu'elle désigne autre chose ? Heureusement qu'il ne connaissait pas ses pensées...
Sauf qu'on peut toujours lire en Aïla comme dans un livre ouvert. Et ça, on lui a répété assez souvent ! Abandonnant, elle sourit de nouveau à Envel et posa un baiser sur sa joue :

"Vraiment merveilleux !"

Elle regarda l'aigle de nouveau, continuant d'avancer. Aunco. Elle avait perdu une occasion de le revoir, mais quand serait la prochaine ? Une petite boule se forma dans son ventre. Cela faisait si longtemps qu'elle ne l'avait pas vu... Mais ils ne se cherchaient pas. Ils se connaissaient trop bien pour cela ! Chacun devinait l'autre si facilement ! Aunco...
Oui, elle le reverait. Et jusque là, elle n'avait pas à s'en faire.
Comme son père. Comme Ewanaë. Séyen. Lena. Manel. Tous. Aïla regarda Envel. Lui sourit. Prit une inspiration pour dénouer son ventre.
La jeune femme ferma les yeux. Chercha le Vent. L'envoya exprimer son amour.

Ils arrivaient enfin devant Firewall.

Sculpter étant devenu pour lui une seconde nature, Envel ne s'attendait pas vraiment à ce que ses figurines fassent autant d'effet.
Cependant, ce n'était pas pour lui déplaire...
Le garçon leva les yeux. La cité de Firewall s'étendait devant eux, étincelante.
Envel fut soudain prit d'un doute.

- "Je me demande..."

Il s'avança vers les murailles, leva les yeux.

- "Si on peut encore rentrer, à cette heure-ci."

Aïla ouvrit de grands yeux à la remarque d'Envel :

"Oh ! Zut ! Je n'y avait pas pensé..."

Maintenant qu'elle y pensait, les quelques fois où elle était entrée dans une ville protégée, c'était en plein jour... La jeune femme scruta la muraille de ses yeux verts. Elle ne voyait personne au dessus de la grande porte.

"S'il vous plait ?"

Elle n'avait pas besoin de crier, le Vent porta sa voix jusqu'en haut du mur de pierre. Pas de réponse. Puis, alors qu'elle pensait qu'il n'y avait personne, une lumière vacillante apparut, et une voix peu sympathique leur parvint :

"C'est pour quoi ?!"

"Et bien... Nous voudrions entrer à Firewall."

Grognement. Puis la réponse arriva :

"Les portes s'ouvrent et se ferme avec le soleil, comme partout ma p'tite dame ! Alors allez voir ailleurs si j'y suis, et revenez à l'aube !"

La lumière disparut. Aïla soupira. Ce n'était pas ce soir qu'elle s'allongerait dans un lit... même si elle aimait aussi dormir à la belle étoile.
Elle se tourna vers Envel, lui sourit :

"Que faisons nous ?"

Il y avait beaucoup de possibilités, mais la fatigue commençant à se faire sentir, elle n'avait pas vraiment envie de réfléchir à la meilleure d'entre elles.

"Que faisons-nous ?"

Envel braqua ses yeux violets avec impassibilité sur les portes closes.

- "Je suppose que nous n'avons pas le choix. Il va falloir attendre l'aube."

Promenant son regard sans les environs, il remarqua une petite zone boisée où un bruit d'eau se faisait entendre.

- "Là-bas."

Il s'y dirigea, inspecta les lieux de plus près. Il s'agissait en fait d'un petit étang alimenté par une source, autour duquel poussait des charmes, saules et autres arbres à fleur d'eau. Le lieu était paisible, à l'abri du vent et d'éventuels dangers venant de la route. L'étang était entouré d'herbes grasses qui fourniraient à Neyle de la nourriture à foison si besoin. Envel s'adossa à un arbre, sortit son arme à double tranchant.

- Ça te va, Aïla ?"