A mesure qu'ils se rapprochaient de Woodan, Ewenn et Lili croisaient de plus en plus de monde. Et la tension de la jeune fille ne faisait qu'augmenter. Elle marchait tête basse sur le bord de la route, tentant de fuir les regards qui ne manquaient pas de se poser sur elle.

Arrivés devant la porte de la ville, Lili ne put s'empêcher de ralentir. Un garde la remarqua, l'observa, surpris. Lili leva brusquement la tête vers lui, effrayée. Lorsqu'elle croisa son regard, le garde fronça les sourcils. Alors Lili cacha de nouveau son visage et repartit vers l'avant.
Ewenn. Ou était-il ? La peur montait en elle. Dans la foule qui se pressait pour passer les portes, elle chercha du regard la silhouette du jeune homme, comme affolée.

Là.
A peine quelques pas devant elle. Des mèches roses, une chemise d'un bleu glacier. Lili le rattrapa, attrapa de ses doigts fins un bout de sa manche.
Peur. Tellement peur que soudain il ne disparaisse. Tellement peur de ses rêves.


HJ/ Bon, pas terrible ^^"
et encore une fois, elle n'a pas dit un mot -.-
enfin, rp amorcé, pourvu que l'inspi soit au rendez vous x)
si quelque chose ne va pas, j'édite ^^

Ewënn marchait calmement, suivant le chemin des auras de plus en plus nombreuses qu'il percevait.
Celle de Lilinäo était bien tourmentée.
Plus ils approchaient de la cité, plus la jeune fille était mal à l'aise. Lorsqu'ils arrivèrent aux portes de Woodan, elle ralentit l'allure puis, telle une petite fille effrayée, saisit la chemise d'Ewënn.
Le garçon lui lança un regard en coin, puis sourit doucement.
Ils finirent par entrer. Les rues étaient remplies de monde, et se mouvoir avec aisance n'était pas facile. Ewënn finit par arrêter une passante et lui demanda le chemin de la bibliothèque avec un sourire. La jeune femme lui répondit immédiatement avec amabilité et à grand renfort de battements de cils, puis elle aperçut Lilinäo, lui jeta un regard peu affable et s'éloigna vivement. Le sourire d'Ewënn s'élargit et il laissa échapper un rire bref, comme une musique éphémère vite étouffée par la foule.
Se remémorant les indications de la passante, Ewënn, Lili sur ses talons, arpenta nombre de rues avant de franchir les portes d'une haute bâtisse d'aspect millénaire.
Une fois à l'intérieur, le brouhaha de la ville s'estompa, le calme revint, perturbée par le doux murmures de quelques lecteurs. Ewënn se tourna vers Lilinäo, lui sourit.

- "On y est."

Lili suivit Ewenn sans le lacher d’une semelle. Quand la femme à qui il avait demandé leur chemin la détailla d’un regard contrarié, la jeune fille aurait bien voulu disparaitre ! Mais Ewenn effaça une partie de sa gêne en riant. Lili sentit monter en elle un sentiment de gratitude infinie envers cet homme qu'elle connaissait depuis peu, et qui était là, avec elle.

Et enfin, la bibliothèque. Lili leva ses yeux clairs vers le plafond. Si haut. Un silence tranquille reignait ici. Un calme serein. Pas de regards, ceux des lecteurs rivés sur les précieux ouvrages… Lili se détendit légèrement.
Alors c’était ça, une bibliothèque ? La jeune fille n’avait jamais vu tant de livres ! Plus que tous ceux qu’elle avait vus jusque là réunis !

"Si grand…"

Son murmure raisonna étrangement dans le vieux batiment. Lili fronça les sourcils avant d’ajouter :

"Comment savoir par ou commencer ?"

Ewënn avait les yeux fixés sur la voûte du plafond, qui se perdait dans les hauteurs. A la question murmurée de Lilinäo, il répondit, d'une voix étrangement oppressée :

- "On ne sait pas. On ne sait pas par où commencer, et c'est ça qui fait l'âme d'une bibliothèque."

Il s'arracha à sa contemplation, posa ses yeux bleus glaciers sur Lilinäo et sourit.

- "On va tâcher de trouver un recueil simple au début, et... ma foi, je ne sais pas encore vraiment comment je vais t'apprendre. Tu as déjà quelques notions ?"

Lili rougit, gênée :

"Très peu... ma mère a commencé à m'expliquer, une fois, mais... il y avait trop d'un coup, et... je ne me souviens pas de tout..."

Ces lignes noires coupées en mots. Des mots composés de petits signes, les lettres, et à chacunne correcpondait un son. Autrement dit, Lili connaisait son alphabet ! Mais la manière dont ces lettres s'assemblaient entre elle pour former les mots était restée floue pour la petite fille. Parce qu'il n'existait pas une lettre pour chaque son, n'est ce pas ?

Lili doutait trouver ici les livres que les enfants apprenaient à lire en classe. Car c'était cela, elle devait tout reprendre, comme une enfant. Elle se souvenait vaguement de sa mère lui comptant des histoires. Avec de grands livres d'images. Lili s'approcha d'un rayon pour tirer un volume un peu plus petit que le autres. Non, aucun de ces ouvrages ne ressemblait à cela.
Mais peut être avait-elle tout faux ?

La jeune femme se tourna de nouveau vers Ewenn, attendant qu'il lui dise quoi faire. Qu'il la guide. Elle ferai tout ce qu'il demanderai.

Ewënn n'avait pas vraiment d'expérience en guise d'apprentissage. Il saisit plusieurs recueils, les feuilleta en silence. Il alla demander de quoi écrire, vint s'asseoir à une table avec Lilinäo...
Il se souvenait de sa fascination pour les mots, lorsqu'il avait bénéficié, chez son père adoptif, d'une éducation à l'égal des autres enfants. Il se souvenait de son émerveillement face à ses courbes et ses lignes serrées, qui, une fois déchiffrées, lui offraient bien plus qu'il ne pouvait l'imaginer.
Bien que lui, n'imaginait pas.
Il tenta de transmettre à Lilinäo cette fascination. Du mieux qu'il pouvait. De sa voix calme et patiente, il décrivait des sons, des syllabes, parfois traçait quelques mots d'une écriture calligraphiée sur du papier fin à l'aide d'une plume d'oie blanche. Avait-il perdu conscience du temps ?
Toujours est-il que quand il levait les yeux, il ne regardait pas autour de lui.
Non, son regard clair se posait brièvement sur la jeune fille en face de lui, qui commençait doucement à se laisser envahir par cette étrange magie, naissant simplement de quelques symboles tracés à l'encre noire.


HJ : ou l'art de faire simple tout en faisant compliqué x) si quelque chose ne va pas, j'édite

De la magie ? Lili s'était assise en face d'Ewenn, buvant chacun de ses mots, écoutant attentivement chacune de ses phrases, les gravant dans son esprit, les comprenant lentement, avec fascination.
Petit à petit, la magie se révélait, et elle la faisait sienne.

Lili en oublia tout autour d'elle. La seule chose qu'elle entendait était la voix d'Ewenn près d'elle. La seule chose qu'elle voyait était la page sur laquelle dansait la plume.
Combien de temps ?
Jusqu'à ce qu'elle regarde la plume danser sans parvenir à se concentrer sur ce qu'elle traçait. Jusqu'à ce que la voix d'Ewenn se fit telle une musique dont elle ne parvenait plus à saisir les paroles, malgré tous ses efforts pourtant sincères.

Lili se redressa, s'appuya sur le dossier de la chaise avec un soupire.

"Je... je suis un peu fatiguée."

Elle hésita avant d'étirer discrètement ses muscles endoloris. Elle n'avait pas l'habitude de rester assise plusieurs heures ! Regardant autour d'elle, son regard se posa sur les nombreuses allées remplies d'ouvrages. Les yeux de Lili se mirent à briller : Plus elle apprenait, plus elle avait envie d'aller découvrir tous les trésors que récelaient ces livres !
Et dans une bibliothèque aussi immense, combien pouvait-il y en avoir ?!!

Timidement, la jeune fille se tourna de nouveau vers Ewenn :

"J'aimerais aller me promener dans les différentes salles... Je peux ?"

Se vider la tête de ces milliers de choses qu'elle venait d'apprendre, marcher seule tranquillement pour calmer son esprit en ébullition. Découvrir les lieux. Tout simplement parce qu'elle en avait envie ?
Autant de bonnes raisons de se lever, non ? Mais elle n'osait pas.

Ewënn finit par sortir de la transe dans laquelle il était plongé. Lui aussi était un peu fatigué. A la question timide de Lilinäo, il eut un fin sourire et hocha la tête.

- "A ta guise. Il est inutile de me demander, tu sais. Je t'attend là."

Il repoussa devant lui les recueils et feuilles couvertes d'écritures, et s'adossa à sa chaise. Il poussa un discret soupir, écarta quelques-unes de ses mèches fines qui lui tombaient devant les yeux. Il n'avait pas dormi depuis longtemps, et cela commençait à se faire sentir.

HJ : bon, c'est nul, mais je ne sais pas vraiment quoi répondre d'autre ^^"

Lili sourit brievement, se leva sans bruit pour s'éloigner.
Des murs de livres. Un labyrinthe de livres, là où l'architecture ancienne ne permettait pas les longues rangées bien droites. Le plafond si haut surplombait le tout, comme la voute des arbres dans les anciennes forêts. De longues échelles permettaient d'atteindre les ouvrages les plus hauts. La jeune fille n'était jamais entrée dans une bibliothèque. Et jamais elle n'aurait imaginé quelque chose d'aussi impressionnant.

Lili passa discrètement entre les lecteurs. Quelques murmures résonnaient sous la voute, donnant l'impression que la pierre elle même vivait.
Soudain, un énorme livre tomba à un mètre d'elle dans un bruit sourd. LiLi fit un bond en arrière. Cette chose aurait pu tuer quelqu'un !! Levant les yeux, la jeune fille croisa le regard d'un homme encore accrpché en haut d'un échelle, une pile de livres à la main. Elle le regarda, un peu inquiète, redescendre précipitement les barreaux pour se diriger vers elle :

"Je suis désolée, est ce que vous allez-bien ?"

Lili hocha la tête précipitement, n'osant pas faire un pas pour s'éloigner. Cela aurait été impoli, non ?

"C'est rare de voir quelqu'un dans ce rayon... Je travaille ici en fait, et je sais que ces livres n'interessent pas grand monde... Vous cherchez quelque chose ?"

Lili cacha son visage derrière ses cheveux.

"Non je... j'apprends juste à lire."

Instant de surprise de la part du grand et maigre homme en face d'elle. Ses cheveux étaient d'un brun sombre, complètement en bataille, il avait de petits yeux de la même couleur que ses cheveux, et sa bouche formait un sourire avenant. Il se reprit :

"Dans ce cas, peut être devriez vous aller voir des livres plus simples que ceux-ci ? Nous avons un rayon, dans une salle plus loin, au fond du batiment, qui pourraient être un bon support de travail. Voulez-vous que je vous montre ?"

Le premier réflexe de Lili eut été de répondre non. Mais la jeune fille hésita. Pouvait-elle tenter de lire un petit peu par elle même ? Et peut être cela pouvait-il aider Ewenn à lui apprendre...
Finalement, elle hocha la tête, et suivit l'homme dans les dédales de salles et de rayons.

Ce qu'elle ne savait pas, c'est que celui-ci ne travaillait pas ici. Qu'il n'y avait jamais eu de salle contenant des livres simples au fond du bâtiment. Elle ne savait pas non plus qu'au moment où elle acceptait de le suivre, l'homme eut du mal à cacher une étincelle de satisfaction dans son regard. Il fallait qu'il soit plus prudent ou alors, aussi idiote que cette fille était, elle remarquerait quelque chose.

Ewënn, adossé à sa chaise, somnolait, les yeux à demi-fermés. Il écoutait les doux bruissements des pages, suivaient les auras et étudiaient les états d'esprit des personnes présentes. Le jeune homme souriait parfois, devant la douce satisfaction d'un vieil homme ayant enfin trouvé le recueil qu'il convoitait depuis des mois, ou devant l'exubérant émerveillement d'une petite fille face à un livre d'images.
Il eut envie de chercher l'aura de Lilinäo. Il n'eut pas de mal à la trouver. Elle se mouvait, se dirigeant vers le fond de la grande bibliothèque.
Et elle n'était pas seule.
Ewënn ouvrit soudain les yeux. Il se redressa, étudia avec attention l'état d'esprit de l'homme qui se trouvait aux côtés de la jeune fille.
Malfaisante satisfaction.
Le garçon eut un imperceptible froncement de sourcils.
L'homme avait un état d'esprit d'une lucidité effrayante.
Il était fou.
Ewënn se leva lentement. Il regarda autour de lui. Le nombre de personnes présentes ne lui permettait pas de se transformer en cendres.
Soit. Il irait en marchant.
Son visage reflétant toujours un calme imperturbable, il se dirigea vers le fond du bâtiment, suivant par l'esprit les auras des deux personnes qui s'éloignaient peu à peu.

Lili suivait cet homme depuis un moment déjà. Et au fur et à mesure qu'ils s'éloignaient de l'entrée, qu'ils croisaient de moins en moins de monde, son malaise grandissait. Elle ralentit, murmurant timidement :

"Je ne sais pas si..."

"Oh ! Ce n'est plus très loin ! C'est juste que peu de personnes viennent apprendre à lire ici, alors ces livres ne sont pas beaucoup utilisés, et rangés dans le fond."

Lili se mordit la lèvre. Quand un mouvement attira son attention, elle se retourna. Chemise bleu, regard glacier, cheveux rosés... Etonnée, Lili s'arrêta pour regarder s'approcher son 'professeur'. L'homme à côté d'elle fit de même, ne montrant rien de sa frustration.
Mais comment le jeune homme avait-il fait pour les suivres à travers le labirinthe qu'ils avaient emprunté ?!

"Ewenn ?"

Le murmure de Lili était surpris.

"Ewenn ?"

Le jeune homme fixait celui qui se tenait aux côtés de Lilinäo d'un regard d'une impassibilité déstabilisante.

- "Pardonne-moi, Lilinäo."

L'homme aux cheveux bruns eut un geste de colère...
Il n'eut pas le temps de l'achever.
Aux pieds des deux jeunes gens, un tas de cendres grises. Ewënn mit un genou à terre, prit une poignée de cendres qui s'écoula lentement entre ses doigts.

- "L'histoire se répète, sans raison apparente."

Sa voix n'avait été que murmure.
Cinq ans.
Douze ans.
Vingt ans.
Le jeune homme leva son regard clair pour rencontrer celui de Lilinäo. En attente d'une réaction.
Incompréhension, d'abord. Puis peur. Fuite. Reniement.
Sauf qu'elle, elle savait.
Mais comprendrait-elle pour autant ?

La peau de Lili était pâle et lisse. Au point que parfois, dans ses périodes 'aquatiques', elle paraissait bleuté. Souvent, heureusement, et presque toujours en présence de quelqu'un, il lui arrivait de rougir. Ses joues claires se coloraient alors légèremement de rose. Mais pouvait-elle être encore plus pâle qu'elle ne l'était habituellement ?
A cet instant, Lili était plus pâle qu'un mort.
Mort.
Comme l'homme qui se tenait à côté d'elle quelques secondes auparavant.

'Je venais de tuer un homme sous ses yeux, sans raison apparente.'
'L'histoire se répétait.'
'Si quelqu'un me veut du mal, ou en veux à mon entourage, je le sais.'
'J'ignore si cela justifie ces deux meurtres.'
'Etais-je un assassin ?'
'Pardonne moi, Lilinaö.'

Cet homme était-il mauvais ? Cela justifiait-il ce meurtre ? Pouvait-on 'pardonner' la mort de quelqu'un, quel qu'il soit ?
Lili secoua la tête, visage vers le sol pour éviter le regard clair d'Ewenn.

"Je ne sais pas."

Elle ne savait pas, elle ne comprenait pas, et elle avait envie de pleurer.
Lili tendit la main, accrocha la chemise du jeune homme, comme elle l'avait fait dans la rue.
Ne pars pas.

"Je ne sais pas."

Quelques larmes s'échapèrent pour rouler lentement sur ses joues pâles.
Elle n'était sûre que d'une seule chose :
Elle lui faisait confiance.

Ewënn s'assit. Son regard clair était tourné vers le sol.

- "Il était fou."

Oui, il était fou. Une folie furieuse. Mais peut-être que derrière ce personnage, il y avait une femme et des enfants, et un homme qu'on croyait sain d'esprit.

- "Je ne savais pas comment faire autrement."

C'était vrai. Quand on croise un violeur, un fou ou un tueur, et qu'on est le seul à savoir ce qui se cache derrière la façade de bonhomie... que peut-on faire ?
Il ne pouvait pas le laisser vivre ! Même si ce n'était pas Lilinäo, ç'aurait été un ou une autre.
Mais il n'y avait que lui, qui savait cela.

- "Je suis désolé."

Paroles bien inutiles. Au regard de Lilinäo, il n'avait eu sans doute aucune raison de réagir ainsi. N'aurait-il pas pu simplement l'écarter du danger imminent, sans commettre de meurtre ?
Et le laisser courir ?
Non. Non, il n'aurait pas pu.

Lili regarda Ewenn assis sur le sol.
Elle n'avait pas de réponse.

"Merci."

Ce murmure était tout ce qu'elle pouvait dire. Le rose était revenu sur ses joues. Ne venait-il pas de faire ça pour elle, après tout ? Cela. Pour elle ? A cause d'elle. Qu'est ce qui lui avait pris de suivre cet homme ?! Alors qu'elle ne le connaissait pas ? De lui faire confiance ? Si Ewenn n'avait pas était là...

"Je suis désolée..."

C'était de sa faute. Elle se sentait coupable de la mort de cet homme. Pourquoi avait-il dû tuer à cause d'elle ? Elle ne voulait pas voir cela une nouvelle fois. Elle ne voulait pas qu'il recommence cela. A cause d'elle. Comme si dans son esprit, des milliers de voix répétaient ces quelques mots. Comme si les pierres autour d'elle les criaient, comme si les livres la montraient du doigt : A cause d'elle. A cause d'elle. A cause d'elle.
A cause d'elle.
Lili avait baissé son visage vers le sol. Son regard se posa sur les cendres.
Elle lacha soudainement la chemise d'Ewenn qu'elle tenait toujours du bout des doigts.

"Pardon."

Lili était repartie précipitement dans l'allée, en direction de la sortie de la bibliothèque.

Elle s'en allait.
Mais, chose étrange...
Elle n'avait pas peur.
Elle l'avait remerciée. Et elle se sentait coupable.
De quoi ?
Lili... Attends.

- "Attends. S'il te plaît."

Ewënn se leva. Il se dirigea vers Lilinäo, ses yeux clairs comme de l'eau fixés sur elle.

- "Je l'ai tué. Il n'avait, en apparence, rien fait. Pourquoi te remets-tu en cause ? Ce n'est aucunement de ta faute. Lilinäo..."

Il plongea ses yeux bleus glaciers dans le regard transparent de la jeune fille.

- "Pourquoi te sens-tu coupable ? Et surtout... Pourquoi me remercies-tu ? Pourquoi n'as-tu pas peur de moi ? Je suis..."

Il se passa la main dans les cheveux, eut un léger sourire.

- "Confondu. Tu as une réaction totalement à l'opposé de ce que je pensais. Enfin, pas tout à fait. Tu t'enfuis. Mais pas pour les bonnes raison, n'est-ce pas ?"

Lili se tourna vers Ewenn, gênée et surprise. Se sentant rougir, elle baissa de nouveau le regard vers le sol.

"Merci... parce que tu m'as aidé, non ? Mais... A cause de moi, tu l'as tué... Tuer n'est pas bien, et cela te rends triste, et à cause de moi... si je ne l'avait pas suivi, tu n'aurais pas eu besoin de... c'est à cause de moi."

Elle tordait ses doigts.

"Et puis... ce n'est pas vrai, j'ai peur... J'ai peur que tu tues quelqu'un d'autre pas ma faute."

Sa voix très basse brisait pourtant le silence des longues rangées de livres désertes. Timidement, elle releva son regard clair sur le visage d'Ewenn.

Ewënn eut un doux sourire.

- "Par ta faute ? Si encore tu étais une fille inconsciente ayant le don de se mettre dans des situations impossibles... Mais tu n'en es rien. Tu n'as absolument pas à te reprocher de l'avoir suivi, n'importe qui aurait pu également le suivre... Et c'est ce qui m'a inquiété, je crois. Un motif de meurtre comme un autre..."

Il se tut un instant, pensif. Puis il releva son regard bleu glacier vers Lilinäo.

- "Quant à tuer... C'est la seule chose que je sache faire, lors d'une pareille situation. Je me pose des questions. Le laisser vivre, alors qu'il pourrait faire souffrir une infinité d'autres personnes ? Je préfère passer pour un monstre, un assassin, et m'isoler sans attendre une gratitude qui ne viendra pas, plutôt que de laisser courir une telle personne. Lorsque l'on reste avec moi, il faut forcément s'attendre à ce genre de choses. Alors, si tu le veux bien..."

Il déporta légèrement son regard, et lâcha d'une voix terriblement calme et basse :

- "Dès que j'aurais fini de t'apprendre à lire, si toutefois tu oses rester avec moi jusque là, je te raccompagnerais hors de la ville, et puis je disparaîtrai de ta vie."

Voilà pourquoi il ne s'attardait habituellement jamais avec quelqu'un. Il y avait toujours ce risque d'être confronté à une situation où son masque tombait, et où la terrible conséquence de ses pouvoirs éclatait au grand jour.

La culpabilité de Lili diminua légèrement. Elle ne comprenait pas tout de lui, mais il la rassurait. Il ne lui en voulait pas.

"... je disparaitrait de ta vie."

Lili releva la brusquement la tête. Partir ?! Finalement, il voulait partir ?!
Et... 'Si elle le voulait bien' ? Qu'est ce que cela pouvait vouloir dire ? Il lui demandait la permission de partir ?
La jeune fille resta un instant sans réaction, puis finalement hocha la tête.
Il ne lui en voulait pas, mais il ne voulait pas rester avec elle. Elle sentit sa poitrine se serrer.

En même temps, il avait du la tirer de l'eau, lui donner sa chemise, payer un guerrisseur, et maintenant il lui apprenait à lire ! Pas étonnant qu'il ne veuille pas rester avec elle !
Lili se mordit la lèvre.

"Je... je peux finir d'apprendre seule, sinon."

Vrai. Cela prendrait du temps, cela serait difficile, autant pour l'apprentissage en lui même que pour trouver les livre -elle ne comptait pas rester seule dans une ville comme celle-ci, mais elle pouvait le faire.
Elle ne voulait pas le déranger.

Ewënn eut un froncement de sourcils imperceptible en étudiant le changement d'état d'esprit de Lilinäo. Elle était... triste ?
A sa proposition, il posa son regard glacier sur la jeune fille.

- "Est-ce ce que tu veux ?"

Peut-être avait-elle mal interprêté ses paroles ? Elle ne semblait pas être effrayée, juste... perturbée. Choquée ? Quoi de plus normal...

- "Comme je suis d'un naturel plutôt franc, j'abat cartes sur table. Je n'ai aucune envie de disparaître de ta vie, Lilinäo. Mais je crois très sérieusement que je préfèrerai mourir ici et maintenant plutôt que de te voir réagir face à moi comme ma mère et mon père adoptif ont réagi. Bien que cela soit un peu tard, je pense..."

Il se tut. Fixant la jeune femme de son regard d'eau claire, toujours aussi tranquille.

Toutes sortes d'émotions passèrent sur le visage de Lili alors qu'elle écoutait Ewenn parler. Pour finalement, garder une expression troublée : Ce qu'elle voulait ? Il était rare qu'on lui demanda une telle chose...

"Je... ne veux pas déranger."

Ah ? Mais cela ne répondait pas à la question de 'ce qu'elle voulait' ! Bien vrai, pourquoi faisait-elle tout cela ? Que voulait-elle vraiment ? Voulait-elle qu'il parte ? Quand cette pensée pinça son coeur, elle ne put que secouer négativement la tête, le regard sur le vieux plancher. Elle avait presque l'impression de comettre une faute en répondant franchement.

Ewënn eut un mince sourire.

- "S'il n'y a que ça qui t'inquiète, je peux te répondre franchement que tu ne me déranges pas. Non, ce qui me gêne, c'est qu'en restant avec toi je redoute de te faire encore plus de mal que maintenant."

Car qu'avait-il fait ? Il avait tué quatre hommes devant ses yeux, dont un qui ne paraissait aucunement menaçant.
Quatre, hein ? Rien que ça...
Le jeune homme sortit de ses pensées et releva les yeux vers Lilinäo.

- "Cela dit, si tu veux bien de moi, ce sera avec plaisir."

Lili se rappelait les trois agrasseurs près de la rivière. Et l'homme étrange encore où ils se trouvaient quelques minutes auparavant.
Cela faisait quatres.
'En restant avec toi je redoute de faire encore plus de mal que maintenant.'
Lili fit un pas en arrière. Alors s'était de sa faute ?

"Pourquoi ?"

Pourquoi devrait-il lorsqu'il est avec elle ? On l'avait souvent chassée, mais jamais encore on ne lui avait dit 'je veux rester avec toi mais alors je risque de tuer quelqu'un' ! Et si la première partie la rendait incroyablement heureuse, la deuxième...

"Pourquoi devrais-tu tuer ?"

... lui faisait un peu peur, il est vrai. Quoique cela ne soit pas pour elle.
Pourtant elle ne voulait pas qu'il parte. Avec Ewenn, elle se sentait presque... normale.
Derrière les épais murs de pierre, le soleil commençait à décliner.

- "Les trois premiers, répondit Ewënn tranquillement, c'était eux ou moi. Et même si j'envisage la mort comme une solution éventuelle, pour l'instant je la rejette. Quant au dernier..."

Ewënn braqua son regard clair sur Lilinäo.

- "C'était lui... ou toi. Et une infinité d'autres personnes, tôt ou tard. Je ne sais pas s'il t'aurait tuée. Mais ses intentions n'étaient pas louables. Ne crois pas que ce soit parce que je reste avec toi que je dois prendre ces décisions. Là, c'était un hasard. Les événements se sont précipités. Mais que je sois seul ou avec d'autres personnes, cela ne change rien aux faits. La seule différence... C'est que quand je suis seul, personne ne me voit faire."

Il se tut, et ferma son esprit, tant bien que mal, aux milliers d'auras autour de lui.
Tant qu'il serait avec Lilinäo, il refusait qu'un autre événement se produise.
Mais combien de temps cela tiendrait-il ? Et combien de temps tiendrait-elle ?

"Alors si... le fait que je sois là ou pas ne change rien..."

Hum... ce n'était pas entièrement de sa faute, alors ? 'Personne ne me voit faire...' Personne ne pouvait l'en empêcher, alors ? Pourquoi Ewenn ne pouvait-il s'en empêcher, tout en paraissant si triste ? Elle avait du mal à le comprendre.

Lili ne finit pas sa phrase. Elle ne savait de toute façon pas quoi dire. Hésitante, elle se retourna lentement vers l'entrée de la bibliothèque.
Son regard se posa sur l'une des grandes fenêtres. Ses yeux s'arrondirent, et elle murmura d'une voix un peu tremblante :

"Il... Il va faire nuit ! Les portes de la ville vont fermer !"