Là, il avait gaffé.

- "Désolé."

Il se passa un main derrière la nuque, embarrassé.

- "Le pire, c'est que je devrais le savoir... Si vous me demandiez pourquoi j'ai quitté mon village, je crois que je réagirais exactement pareil."

Il eut une courte période de réflexion.

- "En moins effrayant."

Gavilán espéra que cette remarque détendrait un peu l'atmosphère. De toute manière, il ne se permettrait plus de poser des questions avant un bout de temps...

Isas hausa les épaules.
Le calme était revenu :

- Tu n’étais pas au courant. Cette partie de mon histoire est juste un très mauvais souvenir… assez sanglant.

Toutefois la dernière remarque lui tira un fin sourire. Il voyait mal, pour l’instant, Gavilán en en homme effrayant. De toute façon pour effrayer l’elfe…il ne fallait pas y aller avec le dos de la cuiller.
Son regard se perdit alors dans le ciel couleur marine.
Déjà si tard ?

- Nous reprendrons la route demain. Il ne sert à rien de se dépêcher quand nous n’avons aucun but précis.

L’air était frais, vraiment très frais, et le vent n’arrangeait rien. Se stoppant au centre d’une clairière Isas regarda autour de lui :

- Ici ça ira.

Un craquement.
Un ondulement sur le sol.
Et subitement une masse énorme surgit devant la troupe en soulevant d’immenses mottes de terre.
Isas ne bougea pas, n'eut pas un seul frémissement.
Cette masse prit alors une forme, une allure. Tout simplement un enchevêtrement de bois, de branches et autres qui s’emmêlaient et s’entrelaçaient.
Le tout s’immobilisa.
Un abri s’était installé devant leurs yeux. D’allure élégante, discrète mais efficace. Isas avait du gout :

- Ça fera l’affaire. Dit-il simplement. As-tu faim ?

Gavilán fixa avec ahurissement l'abri qui était littéralement sorti du sol.
Alors c'était ça, pouvoir contrôler la Nature ?
Impressionnant.
L'elfe lui demanda ensuite s'il avait faim. Gavilán secoua la tête.

- "Non. Je suis surtout... un peu désorienté."

Il fixa un instant Isas de son regard sombre. L'elfe semblait bien plus âgé que lui, mais cela s'expliquait par son l'air dur, et, en opposition, les traits fins de Gavilán.

- "Quel âge avez-vous ?"

Isas haussa les épaules. Ça pouvait se comprendre…ou pas.
Ingwë comprenait.
Pas Isas.
Qu’y avait-il de désorientant à suivre un elfe pour apprendre l’art du combat ?

- Vingt quatre ans. Répondit-il simplement. Pourquoi cette question?

Sans un mot de plus il rentra dans l’abri.
En son sein l’herbe y était d’une épaisseur et d’une douceur surprenante, cela y garantirait une nuit chaude et confortable.
Vraiment confortable. En fait si quelqu’un trébuchait et s’affalait par terre tête la première … aucune blessure ne serait à déplorer. Pas même un bleu.
Ce lit de verdure était bien plus différent que n’importe quelles autres matières, mais sans conteste extrêmement confortable.
L’elfe s’y assit tranquillement pendant que, d’un lent geste de la main, il faisait naître un petit arbre entre eux deux. Divers fruits y poussaient et Isas se saisit, pour commencer, d’un seul. Il se servirait au fur et à mesure de sa faim :

-Si tu changes d’avis… Fit-il en lui désignant l’arbre unique au monde.

#Tu devrais essayer de manger un peu.# Conseilla Ingwë. # Il faut toujours se remplir le ventre quand on en a l’occasion.#

- Ingwë tu es un goinfre. Constata sobrement l’elfe.

Gavilán eut un sourire à la remarque de l'elfe. Il cueillit un fruit, commença à le manger sans enthousiasme.
Isas était sans conséquent la personne la plus fermée qu'il ait jamais rencontrée. Gavilán en venait à se demander s'il n'avait pas fait une grosse erreur, en acceptant de venir avec lui.
Par peur de s'enfuir en plein milieu de la nuit, il laissa là ses pensées, s'allongea, et se contenta de fixer le plafond.
Le sommeil fut long à venir.

Confortablement installé Isas ferma les yeux. Oh il ne dormit pas ! Il n’est pas fou. On ne dort pas d’un sommeil de plomb avec un parfait inconnu. Quel qu’il soit.
La nuit fut donc, comme à son habitude d’ailleurs, composé d’un sommeil léger.
Le petit griffon quant à lui dormit comme une masse tout le long.

L’aube pointa finalement le bout de son nez.
Isas leva le sien.
Il était l’heure. Silencieux comme un chat il sortit et regarda aux alentours. Tout semblait tranquille. Il n’y avait rien à craindre par ici. L’elfe n’aurait su dire si cela le rendait heureux ou pas.
Il aimait l’exercice. Même matinale.
Tant pis, une autre fois peut être.
Il tourna la tête vers l’abri. Peu à peu l’herbe douce et le bois protecteur du vent glacial s’enfonça dans la terre, redonnant à la nature son aspect véritable :

- Débout. Dit-il d’un ton qui ne permettait pas la moindre réplique.

# Mgrblgl# Protesta tout de même Ingwë.

Devait-on préciser qu’une heure ou deux de plus ne lui aurait pas fait de mal ? Faisant fi de cette argumentation implacable Isas s’adressa au jeune homme :

- Es-tu prêt ?

# Et le petit déjeuner !# Réclama subitement le griffon mu par son estomac et donc totalement réveiller.

- Plus tard…

Gavilán ne dormit pas très bien, cette nuit-là. Les yeux grands ouverts, il ne cessait de se demander s'il avait fait le bon choix.
C'est vrai, il était parti tellement brusquement !
Avec un inconnu fermé comme une huître, qui plus est...
Il fut réveillé par Isas tôt le matin, et d'une manière peu agréable.
Mais Gavilán n'allait pas se plaindre pour si peu. De toute manière, se plaindre n'était pas autorisé.
Et le jeune homme n'osait plus poser de questions.
Il se contenta de se lever, d'ébouriffer brièvement ses cheveux d'encre et de hocher la tête.

- "Prêt."

#Isas !#

L’elfe stoppa son mouvement in extrémis.
Il avait voulu bondir.
Il avait voulu tester les capacités du jeune homme…mais finalement…effectivement si c’est lui qui testait cela serait peut être un peu juste pour le pauvre Gavilán.
Il se redressa :

- Bon. Je veux savoir ton niveau. Tu vas m’attaquer. Mais saches que je ne veux pas que tu doutes de toi, de tes gestes ou de n’importe quoi d’autres. Attaque-moi de toutes tes forces, de toute ta rapidité. Tu n’as rien à craindre, tu ne m’atteindras pas…

# Ne te vexes pas.# Intervint Ingwë. # C’est juste le tact inconcevable d’Isas.#

L’elfe soupira à cette remarque intempestive, mais ne pouvant qu’en constater sa véracité il se contenta de poursuivre :

- … Attaque-moi avec l’intention de me tuer s’il le faut. Considère que j’en veux à ta vie, que je suis…

Il allait dire brigand. Mais non. Il ne pouvait pas se rabaisser à ce point !

- Que je suis dangereux et que tu ne vivras pas tant que moi je vivrais. Vas-y!

Gavilán eut un moment de bug.
Attaquer ?
Mais il ne... savait pas...
Il ne s'était jamais battu. Enfin, il avait eu des joutes orales, mais à part ça...
Le garçon s'efforça de réfléchir.
Pas de réfléchir comme un garçon de 19 ans, non.
De réfléchir comme un épervier.
Comme l'Epervier qu'il était.
Voyons voir...
Un épervier n'agit pas par la force, non. Il privilégie la précision, et, surtout, son extrême rapidité.
La rapidité, Gavilán ignorait si il l'avait. A voir donc.
Quand à la précision...
Les yeux du garçon se posèrent sur les différentes parties du corps d'Isas.
Où frapper ?
Que ferait un rapace ?
La réponse lui vint en même temps que le souvenir d'un mythe qu'il avait lu, autrefois.
Prométhée.
Condamné à se faire éternellement dévorer le foie par un aigle.
Le foie...
Le regard noir de Gavilán se fixa brièvement sur le flanc droit de l'elfe.
Il serra le poing.
Et il frappa.
Rapidité. Précision.
Possédait-il l'un, et l'autre ?

Effectivement, le jeune Gavilán ne savait pas se battre.
Isas avait lu le coup avec facilité. Dès que le regard du jeune homme c’était posé avec certitude en fait.
D’un vif mouvement, un mouvement flou d’irréalité il esquiva l’attaque.
Il visait le foie, il frappa le vide.
L’elfe se posa délicatement à ses côtés. Quand avait-il bougé ? Qui sait ?

- Recommence. Ordonna-t-il. J’arrêterais tes coups, mais continue jusqu’à ce que je t’ordonne le contraire. Je ne peux juger toutes tes aptitudes avec une seule attaque. Cependant…tu sembles avoir du potentiel…

# Alors ça! C'est un compliment.# Rit Ingwë. # Profites-en ils sont rares!#
Isas n’était pas pédagogue, mais il faisait des efforts.

Gavilán frappait.
Le vide.
L'elfe esquivait ses coups, avec une facilité fascinante et frustrante.
Qui était-il ?
Les yeux noirs du garçon ne regardaient plus les endroits qu'il visait. Cela, il l'avait vite saisi.
Il fixait maintenant un point imprécis, droit devant lui.
Les dents serrées, l'image d'un épervier fondant sur sa proie flottant devant ses yeux.
Il calquait ses gestes sur ceux de l'animal.
Et frappait.
Le vide.
Encore, et encore.
Sa respiration était courte. Les articulations de ses poings blanchies par la tension.
Mais il ne s'arrêtait pas.
Isas ne lui avait pas dit de s'arrêter.
Gavilán avait-il seulement conscience d'où il était ?
De ce qu'il était ?
Il n'était qu'un simple oisillon, tentant d'apprendre à voler.
A chasser.
A survivre.
Tentant de déployer ses ailes et de s'envoler, à l'égal de ses aînés qu'il avait observé et admiré sans pouvoir les imiter.
L'Epervier...
Méritait-il ce nom ?
Une seule personne, possédait la réponse.
Rapidité. Précision.
Une serre s'ouvre, un poing se ferme.
Une serre se referme sur sa proie, un poing ne frappe que le vide.
Comment imiter, ce que l'on n'est pas ?
Mais Gavilán était l'Epervier.
Et qu'importe le nombre de jours que cela prendrait. Il finirait par déployer ses ailes, et s'envoler.
A l'égal de ses aînés.

Etrange danse qui commençait sous les yeux du griffon que celle d’Isas et de Gavilán. Ce dernier frappait avec fougue et bien qu’on eu dit que le jeune homme allait indubitablement toucher son adversaire, celui-ci réapparaissait à ses côtés comme par miracle sans esquiver ne serait-ce qu’un geste mal venant à son encontre.
Un chaton face à un félin.
Maladresse et inexpérience faisait face à la redoutable domination de son aîné.
Mais ce jeune oisillon avait ce qui caractérise tant et si bien les nouveaux nés.
La volonté, la fougue et l’indéniable puissance qui définirait son futur.

Déjà Isas était surprit.
Déjà Gavilán avait compris que fixer intensément son point d’attaque était une erreur.
Il remarqua un autre détail.
Le jeune oiseau fatiguait.
Il allait donc arrêter, il en avait vu suffisamment.
Isas se stoppa, le coup du garçon fila vers son abdomen.
La main de l’elfe saisit le poignet et bloqua net la frappe :

- Nous allons nous arrêter là, l’oiseau. Fit-il paisiblement.

Nulle moquerie dans les termes d’Isas. Il avait juste instinctivement associé le jeune homme à l’image qu’il donnait.
Certes aujourd’hui, un oisillon qui battait désespérément des ailes pour s’envoler. Mais tout animal finit par grandir.
Un jour Gavilán déploiera ses ailes avec magnificence pour découvrir le monde de lui-même…
La scène s’apaisa étrangement, puis l’elfe reprit la parole :

- Tu as de nombreux points à travailler. Apprendre, cultiver et étudier les manières de se battre, de prévoir les mouvements de son ou ses adversaires. Puis façonner ton propre style, combler tes faiblesses, augmenter tes points forts et d’autres choses encore. Mais tu es précis dans tes gestes et tu sembles avoir la vitesse comme atout à tes côtés. Et ce n’est pas le moindre des points fort.

Le jeune griffon s’approcha du duo :

# En gros tu peux devenir fort.# Fit-il en souriant.

- Désires-tu prendre de quoi manger un morceau ou commencer maintenant ton envol ?

Gavilán eut un sourire. L'oiseau... Venant d'Isas, il se doutait que ce n'était pas pour se moquer de lui.
Il écouta avec attention tout ce que lui disait l'elfe. Ce qu'il avait à travailler, à apprendre, et puis... ces points forts.
Vitesse. Précision.
L'Epervier sourit.
Il pouvait devenir fort. Bien que pour l'instant, il n'était qu'un maigre oisillon.
Prendre son envol...
La métamorphose commençait.
Il allait devenir l'Epervier. Le plus rapide, le plus précis des rapaces.
Mais pour l'instant...
Gavilán eut un petit rire.

- "Comme je doute que jouer au héros servira à grand-chose, je préfèrerais manger un morceau avant. Sinon, plutôt que de m'envoler, je risque de m'écraser lamentablement au sol."

Isas hocha doucement la tête.
Ce bonhomme avait aussi l’intelligence de son côté :

- Sers-toi alors.

Et d’un petit geste de la main il fit naître au pied du garçon un arbrisseau où poussait nombre de fruits différents.
Il laissait ainsi le choix au jeune apprenti :

- Je dois toutefois te prévenir d’une chose. Commença l’elfe. Tant que tu seras avec moi tu ne mangeras pas de viande et tu ne chasseras pas. Je t’apprendrais à vivre en harmonie avec dame nature. Bien plus que tu ne le fais maintenant. Cette harmonie pourrait même peut être te sauver la vie un jour.

Isas s’empara alors de quelques fruits :

- Mais si tu désires cuisiner des plats spéciaux dit le moi et je te fournirais les aliments nécessaires.

Il risquait en effet vite d’être lassant de manger des fruits matin, midi et soir.
L'elfe l'oberva se servir puis jeta un coup d’œil vers le griffon :

# T’inquiètes je surveilles.# Lui répondit-il personnellement.

Isas acquiesça.
Attendant que Gavilán finisse de manger il créa des bracelets de bois autour de ses deux avant bras ainsi que ses deux mollets :

- Viens là quand tu auras fini.

Gavilán eut un petit sursaut lorsque l'étrange arbrisseau apparut à ses pieds, mais il espérait vite s'y habituer.
En tout cas, il avait intérêt... On a pas idée de sursauter pour quelque chose qui survient deux fois chaque jour de votre vie.
Tout en mangeant, il écoutait l'elfe avec attention. En harmonie avec la nature... Bien sûr, de toute manière il ne mangeait pas beaucoup de viande, même si il n'était pas contre de temps en temps. Lorsqu'il eut finit de satisfaire son estomac, il s'approcha d'Isas et étudia avec attention les drôles de bracelets de bois qu'avaient crée l'elfe autour de ses mollets et ses avant-bras.

- "Qu'est-ce que c'est ?"

Isas fixa ses bracelets. Un instant ils parurent vide, terne, mais bien vite ils prirent une sorte de vie et se mouvèrent. Ils enlacèrent tout ses avant bras puis remontèrent le long de ses biceps se séparant à la manière d’un chewing-gum au niveau du coude, laissant l’articulation de libre. Bientôt se fut tout le corps de l’elfe qui fut enveloppé sous ses vêtements de ces branchages.
C’est alors qu’il daigna relever la tête et répondre à la question de Gavilán :

- Tu vas porter ceci toi aussi. Ça n’entravera en rien tes mouvements, mais t’alourdiras. Tu apprendras en force, en endurance et sera aussi plus rapide quand tu les auras enlevé. Par contre c’est quelque chose que je t’interdis formellement de porter lorsque tu te trouves seul. Tu dois être dans les meilleures conditions pour faire face à tes adversaires. De toute façon en plein combat tu n’auras guères le temps de faire ton fier en les enlevant. Et je doute que tu y arrives sans mon aide ou au moins avec celle d’un fils de la terre.

Il s’arrêta. Jaugea le jeune homme du regard :

# Qu’en penses-tu Ingwë ?#

# Vas-y doucement d’abord. Il n’a pas l’habitude.#

L’elfe hocha la tête, s’approcha et posa ses mains sur le garçon. Immédiatement du bois s’enroula autour du jeune homme.
Du simple bois ?
En apparence oui.
En réalité, non.
Il était plus lourd que la normal. Certes le poids que lui donnait Isas n’atteignait pas, loin de là, celui que ce dernier portait (en même temps Gavilán n’avait pas derrière lui 23 voir 24 ans d’entrainement intensif). Mais il représentait tout de même.
Gavilán fut vite recouvert de la même manière que son professeur. Il le jaugea une dernière fois puis :

- Maintenant suis-moi.

Et il s’élança. Tel un boulet de canon. Isas avait sur lui plus lourd et pourtant n’en paraissait pas gêné le moins du monde :

# Hé, hé, hé ! # S’exclama le griffon. # Attends !#

L’elfe ralentit sa course :

# Non seulement un homme bien entrainer aurait du mal à te suivre… mais en plus Gavilán n’a eu jusque là aucun entrainement spécial et il a le poids que tu lui a rajouté sur lui. Fais gaffe quand même !#

Isas soupira et attendit que son apprenti le rattrape :

- On va faire plus doucement alors. Fit-il.

Et il partit en trottinant. Allure raisonnable cette fois. Ingwë veillant sur eux :

- Si tu désires parler ou te renseigner. C’est le moment. Ça te fera le souffle.

Gavilán fut surpris, légèrement effrayé même, lorsque cet étrange bois souple lui entoura tout le corps. Puis le jeune homme perdit totalement le fil, lorsqu'Isas partit en courant à toute vitesse.
Wahou.
Cela faisait beaucoup de choses à assimiler en un jour. Gavilán ne réalisait pas encore avec qui il était, et il devenait un peu lent à réagir.
Ça n'allait pas du tout.
Le garçon partit à la suite d'Isas.
Pas facile, de courir avec ça. Mais l'elfe sembla se faire la même réflexion, et ralentit afin de laisser Gavilán le rattraper.
Enfin, vu le regard que lui lançait Ingwë, ce n'était peut-être pas Isas qui s'était fait la réflexion...

- Si tu désires parler ou te renseigner. C’est le moment. Ça te fera le souffle.

Gavilán lui lança un regard en coin de ses yeux noirs.

- "Me renseigner sur quoi ? Vous n'allez rien me dire sur vous, n'est-ce pas ? Quant au reste... A vrai dire, cela ne m'intéresse pas."

Isas soupira tout en trottinant machinalement :

- C’est vrai. Je tiens à ma vie privé. Mais ma réaction de la dernière fois tient surtout du fait que tu m’as pris par surprise et que je n’aime guère parler de ce sujet.

A y réfléchir…Oui, Gavilán n’avait pas tord. Isas parlerait peu, de lui :

- Je ne te proposais pas spécialement de te renseigner sur moi. Je pensais juste que ton entrainement t’intéresserait un peu plus. Mais tu peux aussi poser tes questions à Ingwë. Tu peux être quasiment certain que lui te répondra.

Il haussa les épaules :

- Mais je ne te forcerais à rien.

Gavilán eut un léger sourire.

- "Que croyez-vous ? Je meurs de curiosité. Mais pour mon entraînement, je vous fais confiance, et puis je préfère me concentrer sur la partie de l'entraînement présente, que sur celle future."

Puis, tout en continuant à courir, le garçon jeta un léger coup d'oeil à Ingwë. Il avait envie de lui poser des questions, c'est sûr...
Mais il ignorait totalement comment faire pour parler par la pensée. Et certaines questions qu'il avait envie de poser n'étaient pas faites pour être prononcées à voix haute...
Dans ce cas, tant pis. Il patienterait.
Gavilán se reconcentra sur sa course, ses yeux noirs braqués droit devant lui.

Isas hocha la tête. Ce bonhomme savait sur quoi il devait rester concentré.
C’était une bonne chose.
De son côté le griffon avait remarqué le coup d’œil que Gavilán lui avait jeté. Un petit coup d’œil emprunt de curiosité. Bah, il trouvera bien le moyen d’exiler Isas un petit moment…
La course se poursuivit alors. Elle dura même un petit bout de temps. Mais l’allure régulière et peu contraignante ne la rendait pas difficile...pour qui avait de l'endurance.
Pour son compte Isas arriva frais comme une rose près d’une petite rivière. Après un instant d’hésitation il ralentit son allure et s’arrêta au bord de l’eau.
Un petit geste de la main et le bois étrangement lourd et souple glissa sur leur peau pour se former en bracelets fins autour de leurs membres. Leur apparence avait changé, mais pas leur poids.
L’elfe se retourna vers son apprenti :

- On va faire une pause. Retire tes vêtements si tu le désires. Tu risques fort d’être vite trempé.

Cela sous entendait-il que cette pause faisait aussi partit de l’entrainement ? Très certainement. Toujours est-il qu’Isas, sans se soucier du garçon se retrouva bien vite en sous-vêtement. Et de la même manière, sans un regard en arrière, entra dans l’eau.
Oh pour l’instant elle n’était pas profonde, elle arrivait juste en dessous du genou.
Ingwë, quant à lui, s’assit tranquillement sur le rebord et les observa.

Ils avaient couru pendant un bout de temps. Il étaient arrivés devant une rivière, Isas s'arrêta.

- On va faire une pause. Retire tes vêtements si tu le désires. Tu risques fort d’être vite trempé.

Gavilán eut un sourire mi-figue mi-raisin. Trempé ? Il était déjà en sueur. Mais bon...
Le garçon retira ses vêtements. Sa peau pâle et sa morphologie fine contrastait avec la peau bronzée et l'inpressionnante musculature d'Isas.
Pas de quoi remonter l'ego de notre Epervier, donc.
Gavilán fit glisser les bracelets à l'étrange matière de ses poignets, observa avec appréhension ceux de bois qui les avaient remplacé.
Ils étaient lourds.
Il en avait également aux chevilles.
Le jeune homme jeta un regard de biais à Isas, qui était entré dans l'eau.
Il voulait quoi, le noyer ? C'était bien parti.
Enfin, de toute manière, il n'avait pas vraiment le choix.
A la suite de l'elfe, Gavilán entra dans l'eau.

L’eau de la rivière n’était pas excessivement chaude, mais il suffisait de s’y habituer un peu pour la trouver acceptable. Un peu comme la mer en fait.
Isas fit quelques pas. On aurait pu croire le courant inexistant tellement il était calme. Sourire. C’était parfait :

- Dis-moi. Commença-t-il alors qu’un poisson venait chatouiller le bout de ses doigts de pieds. Nous allons reprendre la route tout en restant dans cette rivière. Par quel côté irais-tu ?

Gavilán fronça légèrement les sourcils.

- "De quel côté ? Eh bien je dirais, en toute logique, en suivant le courant ? C'est-à-dire..."

Il trempa ses doigts dans l'eau, après quelques instants désigna le côté gauche.

- "Par là. Le courant est très faible, mais je crois ne pas me tromper."

Suivre le courant... Isas eut un fin sourire et hocha la tête :

-Bonne réponse. Ne cherche pas à contrer la nature quand tu te retrouves dans une situation où tu es mêlé à elle. La Dame sait ce qu’elle fait. Tu l’aurais remonté, tu aurais eu de gros problèmes, par là le courant et dangereux et violent. Dit-il en désignant la destination à contre courant.

Puis il se tourna vers son compagnon :

- Ingwë ?

# Pas de problème !# S’exclama-t-il gaiment.

Il se leva alors et prit dans son bec les vêtements déposés au bord de l’eau, un petit coup de tête vers l’arrière et tout ce petit bazar se retrouva sur son dos :

# On peut y aller !#

Aussitôt Isas se mit en marche en suivant le courant :

- Cette rivière est pleine de poissons, ne gêne pas leur trajectoire. Essai de sentir ceux qui arrivent derrière et devant toi, puis d’anticiper leur chemin. Ne t’impose pas à la nature, vit avec elle.

L’elfe accompagna alors le geste à la parole en se décalant légèrement pour laisser place à un petit animal à côte de maille arrivant par l'arrière.
La marche dura un certain temps, accompagnée du doux écoulement de l’eau. Celle-ci, au fur et à mesure de leur avancement, augmentait son courant et sa profondeur d’ailleurs.
Etait-ce la présence de l’elfe ? Du griffon ? Toujours est-il qu’en suivant la rivière ils tombèrent sur un majestueux cerf. Roi de la forêt.
Isas s’arrêta à une quinzaine de mètres. L’animal buvait tranquillement dans cette eau qui leur arrivait quasiment à la taille maintenant.
Digne, il redressa la tête et les observa calmement :

- Approche-toi de lui le plus possible. Fit Isas. Sans lui faire peur, sans qu’il ne fuie, sans qu’il ne te charge non plus. Il fait partie de Dame nature, fais-toi accepter de lui, fais-toi accepter d’elle.

"Bonne réponse."
Gavilán eut un léger sourire.
Le garçon écoutait avec une attention soutenue les paroles d'Isas, conscient de l'importance de ces dernières sur son apprentissage.
Il comprenait.
Mais c'était plus facile à dire qu'à faire.
Gavilán tenta tout d'abord d'apercevoir les fins éclairs d'argent que faisaient les poissons lorsqu'ils remontaient le courant, ou inversement, mais le vent troublait l'eau et il ne pouvait pas distinguer grand-chose.
Alors il essaya de sentir. Au début, il ne voyait pas du tout comment faire. Et puis, au fur et à mesure qu'ils avançaient, le garçon commença à sentir les petits remous que provoquaient les poissons lorsqu'ils s'approchaient. Evidemment, il ne réussissait pas à tous les éviter, et avait plus de facilité avec ceux nageant à contre-courant, mais c'était déjà ça.
Vint le moment où ils tombèrent sur un cerf. Le majestueux animal releva la tête et les observa, tranquille.
Lorsqu'Isas énonça "l'exercice", Gavilán sourit doucement.
Ça, il savait.
Lorsqu'il passait des jours à suivre un oiseau particulier, il lui arrivait souvent de croiser cerfs, chevreuils, écureuils, sangliers. Il avait appris à vivre avec eux.
Et puis, comme nous l'avons déjà signalé, Gavilán possédait une sorte de don étrange, qui apaisait chaque animal se trouvant à son côté.
Alors, c'est sans hésitation que l'Epervier s'approcha.
Doucement. Il se mouvait lentement et silencieusement dans l'eau, sans quitter le cerf de ses yeux noirs.
Au début, celui-ci ne bougea pas. Puis il eut un frémissement nerveux, piaffa, et s'apprêta à reculer.
Gavilán émit alors un fin sifflement.
Le cerf se figea.
Redressant la tête, il fixa le garçon qui s'était arrêté.
Celui-ci, tranquille, les mains trempant, inoffensives, dans le courant, ses cheveux de jais ondulant sous le vent, ses doux yeux noirs plantés dans ceux du cerf, ne bougeait pas.
Alors, l'animal, après une hésitation, fit deux pas en avant.
Et Gavilán continua d'avancer.
Il s'arrêta à environ un mètre du cerf. Il savait qu'avancer plus, ferait offense au maître de la forêt.
Le cerf l'observa encore un instant, sans peur. Puis, lentement, il recula de quelques pas, fit demi-tour, et s'enfonça entre les arbres.
Le garçon avant encore le regard fixé là où le cerf avait disparu. Il ne dit rien, attendant qu'Isas brise le silence.