Soya se trouvait dans une pièce spacieuse du palais mise à sa disposition lorsqu’elle accordait des audiences. Pour le cas, il n’y avait personne, mais la jeune femme aimait bien cet endroit, qui respirait le calme et l’harmonie depuis qu’elle avait modifié sa disposition, bien trop luxueuse à son goût. A présent, dos à la porte, devant la cheminée, la dirigeante fixait les flammes mouvantes qui se reflétaient dans ses yeux ambrés.
On frappa à la porte. Soya se retourna.
« Entrez ! »
Lirams franchit le pas de la porte. Il s’inclina brièvement.
« Miss Naïci, une femme demande à vous voir. Elle affirme qu’elle vous connaît, et que je ferais mieux de ne pas lui refuser le passage. »
Soya haussa un sourcil. Cette arrogance, cette suffisance… Oui, elle connaissait.
« Menez-là jusqu’ici. »
« Bien. »
L’homme sortit, puis revint quelques minutes plus tard, suivi de la femme en question. A sa vue, Soya ne put réprimer un léger sourire un peu amer.
« Ça faisait longtemps… »
Le chambellan s’éclipsa. Sa place, il s’en rendait bien compte, n’était pas ici.
« …Maman. »
Soya se retrouvait face à une femme approchant de la cinquantaine, droite et orgueilleuse, un air supérieur sur le visage. Ses cheveux roux étaient relevés en un chignon serré, sans une mèche ne dépassant. Son regard avait la froideur de la glace.
Devant elle, sa fille. La vingtaine, droite et fière mais sans une once d’orgueil, elle se tenait les bras croisés, un sourire légèrement ironique sur son visage. Ses cheveux auburn s’étendaient en vagues souples dans son dos, et ses yeux d’or chaud contrastaient avec ceux de sa mère.
Certes, il y avait un air de famille. Mais ces deux images étaient pourtant totalement différentes.
« Je suppose que tu n’es pas venue pour me passer le bonjour… »
Les yeux de la femme s’éclairèrent d’une vague lueur de mépris.
« Je n’arrive pas à saisir comment toi, tu aies pu accéder à un titre aussi important. T’ont-ils vraiment bien regardé ? Toi, diriger un clan ? Ne me faites pas rire ! »
Soya ne répondit pas. D’un geste, elle désigna un fauteuil où sa mère s’assit, raide. Soya fit le tour du bureau et s’assit en face d’elle.
« N’es-tu vraiment venue que pour me faire part de ta désapprobation ?»
La femme dévisagea un instant sa fille, vaguement surprise. Elle ne s’attendait pas à une réaction aussi calme.
Aussi mature…
« Non, en effet. Je suis venue revendiquer, étant, bien que cela me chagrine, ta mère, cette place que tu as obtenue on ne sait comment. »
Soya en resta un instant muette. Puis, elle murmura :
« Tu vises aussi haut… »
« A quoi t’attendais-tu ? Tu n’es absolument pas apte à diriger. Tu es une incapable. J’estime avoir parfaitement le droit, et même le devoir, de te remplacer. A-t-on déjà vu une gamine à la tête d’un Clan ? »
La jeune femme avait baissé ses yeux ambrés. Elle les releva et les planta dans ceux de sa mère, une étrange lueur au fond de ses prunelles.
« Ainsi tu n’as pas changé. Toujours cette soif de gloire, de pouvoir. N’y a-t-il vraiment que cela qui t’intéresse ? T’es-tu réellement abaissée à ce point ? »
« Tais-toi ! »
La voix de sa mère avait claqué. Soya, imperturbable, continua.
« Et comment comptes-tu me… 'détrôner' ? »
La femme aux cheveux roux eut un sourire.
« J’ai tendance à croire que ceux que tu tiens sous tes ordres ont du mal à s’habituer à leur nouvelle dirigeante. »
Soya eut une légère grimace. C’était vrai. Lirams commençait à peine à lui faire confiance. La plupart des hommes qui travaillaient ici ne la tenaient pas en haute estime. Trop jeune. Trop inexpérimentée. Pas adepte des « vieilles méthodes ». Oui, c’est sûr, le vent de nouveauté qui soufflait depuis l’arrivée de Soyalova Naïci au pouvoir ne leur plaisait pas. Quittes à choisir une femme, autant choisir quelqu’un comme sa mère… C’était l’image même qu’ils se faisaient d’une bonne dirigeante.
Du moins en surface…
Soya réprima un rire. Si sa mère parvenait au pouvoir, ils ne seraient pas au bout de leurs surprises…
« Il ne me sera pas difficile de faire pencher la balance de mon côté, crois-moi. »
La jeune femme eut un sourire.
« N’en sois pas si sûre, maman… Après tout, en trois ans, bien des choses ont changé. Et puis, je ne suis pas certaine que mon Ange Gardien cautionne ce changement. »
Sa mère balaya cet argument d’un revers de main.
« Ah, oui, ton 'Ange Gardien', j’en ai entendu parler… Une espèce de bête sauvage sortie du fin fond de ton imagination ridicule pour te servir de protecteur ! Franchement, qui croiraient à ces… »
La femme s’interrompit brusquement et prit la pose statique et peu convenable pour une femme de rang de « bouche restée grande ouverte de stupéfaction ». En effet, le cerf blanc venait d’apparaître aux côtés de Soya, superbe et immaculé. Avec une froide politesse, il inclina ses bois vers la mère de la jeune femme.
« La bête sauvage vous salue, Madame. »
L’interpelée ne répondit pas et se contenta de détailler avec force intérêt, des ramures aux sabots, l’étrange personnage apparu devant ses yeux.
Ainsi, il existait vraiment ? Ainsi, sa fille était-elle réellement la protégée de celui qu’on appelait le Gardien de l’Air, le Serviteur des Dieux ? La femme aux cheveux roux n’en menait plus large. Avec une étrange hésitation, elle reposa ses yeux sur Soya, qui, les mains croisés sous le menton, l’observait avec sérieux.
« Penses-tu vraiment réussir, à présent ? Je te l’ai dit, beaucoup de choses ont changé. Ils ne me font pas confiance, dis-tu ? C’est vrai. Mais je ferai en sorte que dans les plus brefs délais, ils m’acceptent et croient en moi. Je suis jeune, oui. Peut-être un peu trop, pour siéger à un poste aussi important. Mais je ne suis plus l’adolescente rebelle que tu as connue. J’ai les armes pour me dresser contre toi, et si besoin est je le ferai sans hésitation. »
Sa mère plissa des yeux méprisants.
« Des mots, rien que des mots. Tu as toujours été comme ça, belle parleuse mais incapable de passer à l’action. »
« Ah, vraiment ? »
Soya s’était levée. Une colère contenue perçait dans ses yeux ambrés.
« Pourtant, souviens-toi… J’ai prédit que dussé-je couper tous ponts qui me reliaient à la famille Naïci, je ne te ressemblerai pas. Je l’ai fait. Et je ne pense pas te ressembler. J’ai clamé que dès ma majorité, je sortirai de cette prison qu’était la vie que tu me forçais à avoir. Rappelle-moi, qu’ai-je fait le jour de mes 18 ans ? »
Sa mère resta muette, prise au dépourvu.
« Tu veux que je te dise ? Père, lui, le savait. Et je pense que c’est pour cela qu’il m’a offert Isïl. Parce que lui, contrairement à toi, cautionnait mes actions ! De vous deux, c’est le moins méprisable. »
« Tais-toi ! »
Pinçant les lèvres, la mère de la jeune femme s’était levée également.
« C’est toi qui est méprisable ! Quand je pense que pour la première fois, la famille Naïci s’est retrouvée au centre de ragots ! Des ragots qui chuchotaient que l’héritière était en fait… »
« Un démon, n’est-ce pas ? Pourtant, navrée de te décevoir, mais cette prédiction ne s’est pas réalisée. A sa place, l’héritière Naïci est devenue dirigeante du clan de la Lumière. Vois ! Si j’étais restée, tu m’aurais sans doute mariée à quelque homme puissant, comte ou baron. Un titre bien moins élogieux, » conclut Soya avec ironie.
Retrouvant son sérieux, elle fit lentement le tour du bureau, les yeux fixés sur sa mère.
« Ça, c’est ta réflexion. Mais je ne suis pas comme toi, et les titres ne m’intéressent pas. Cependant, retiens bien une chose : que je sois dirigeante ou palefrenière, la vie que j’ai choisi de mener m’est bien préférable à celle que tu m’imposais ! »
Les deux femmes se tenaient à présent face à face et se défiaient du regard, dans une muette confrontation.
« Un mot de moi et tu passes le restant de ta vie dans des geôles. »
La voix de Soya était glaciale. Sa mère écarquilla les yeux.
« Tu n’oserais pas… »
« On parie ? »
Dans son regard ambré, nulle trace d’humour.
« Disparais. Disparais de ma vie. Ton existence a toujours été pour moi une entrave. »
La belle assurance de la mère de Soya avait disparue. Interloquée, celle-ci esquissa un pas en arrière.
« Je ne suis pas la fille que tu aurais pensé avoir. C’est une réalité qu’il te faudra bien finir par accepter. Alors arrête. Cesse de courir après un rêve qui jamais ne se concrétisera. Si tu ne peux supporter la vision de ce que je suis devenue, alors va-t-en, et oublie-moi. »
La femme aux cheveux roux dévisagea un instant la nouvelle dirigeante du clan de la Lumière. Grava dans sa mémoire ses traits féminins, ses longs cheveux auburn, les arabesques sur son front et la flamme ambrée de son regard.
Une dernière fois.
Puis, lentement, elle tourna les talons.
Soya, avec un soupir, s’affaissa dans un fauteuil.
Elle avait gagné.
Mais, pour combien de temps ?
HJ : j'ai mis "non dispo", mais bon, si quelqu'un a une demande à faire à la dirigeante des Lumières, il peut hein ^^
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